Des fleurs insensées

Dans mon jardin il y a des fleurs de papier, il y a le père de ma patrie, il y a l’impatience des impolis et toutes les promesses profondément pétries par des penseurs manchots.

Subrepticement, c’est faux. Je n’ai pas de jardin, on le sait, ça se voit, je me suis égaré chez la voisine, j’ai cru pendant quelques années que j’étais chez moi, mais je m’amenuise.

C’est la vie, c’est la vie, mon ami, c’est la vie de ce siècle, nous la vivons comme des fleurs de papier.

Du fond de son jardin, je l’entends, l’entendez-vous, ma voisine crie que ça n’a pas de sens, pas plus de sens que les autres mots, pas de sens du tout, et même si elle vient tout juste de botter le derrière, elle m’invite à revenir boire chez elle, elle me demande de peindre son portrait, je ne pourrai pas, les pinceaux m’intimident, je préférerais m’allonger sur la terrasse.

Ma voisine a besoin de sucre, elle a besoin de café, j’irai faire ses courses, j’irai même si je ne vois pas pourquoi, je l’oublierai peut-être en chemin, je la laisserai à ses fleurs de papier, à ses histoires qui m’étourdissent, je ne lui écrirai pas, lui écrire, non, si je pars ce sera pour partir.

Biens et services

Depuis que la littérature se vend comme du dentifrice, ou des burgers, ou des voyages à Cancún, les mécréants de l’autre côté de la rue ont cloué leurs rideaux aux fenêtres, et laissent s’envoler les volutes de chants mortuaires au-delà des toits endormis.

Ils préparent un festin, nous le devinons, ils invitent d’anciens individus qui passent, dans les milieux branchés, pour des fantômes. Des images à faire sourire, des personnages d’à peine vingt ans, des voyous qui insultent les automates qui glissent sur des convoyeurs dorés.

Et les forces de l’ordre paniquent.

Ils attaquent les fenêtres avec leurs lance-flammes, ils catapultent des briques pour fracasser les vitres, mais elles rebondissent sur les rideaux et leur retombent sur le crâne.

Même les poisons s’avèrent inefficaces, et le festin s’égaie, et les convives brûlent la production d’une année entière de l’industrie littéraire.

Correspondance touristique

Ils vendent des cartes postales, je suis étonné qu’ils en vendent toujours, qui les achète, qui n’a pas de téléphone, qui ne peut pas empiler des milliers de photos du monument à la gloire de l’inventeur de l’âme qui trône sur la Place des Nations?

Ils les vendent pourtant, leurs cartes postales, ils les vendent au même comptoir que les passeports, juste à côté du kiosque des crèmes hydratantes aux peptides devant lequel une file de débardeurs attend en pleurant.

Les éléphants dansant, les tigres jonglant, les ours chantant et les singes travaillant sont en ville, ils campent sur le terrain vague derrière la mairie, là où ne pousse plus rien depuis qu’on y a répandu trois couches de rejets de la fabrique de peinture rouge.

C’est la joie, on s’en doute, c’est l’euphorie, et ça se lit dans les yeux des commissaires qui refusent de contrôler depuis qu’ils ont découvert les plaisirs de la transe, même si les citoyens des maisons à colonnes le leur reprochent parfois, le dimanche matin à sept heures.

Qu’importe, vous dirai-je, puisque l’assistante de direction aveugle se dandine, les deux mains dans les poches, une carte postale entre les dents, racontant à la foule qu’elle compte écrire une chanson, écrire un poème, écrire une longue missive à des inconnus qui vivent sur une île flottante au large du terminal pétrolier.

En tout cas, je ne m’explique pas pourquoi j’en ai acheté une, j’ignore à qui je pourrais l’envoyer, et comment procéder, vend-on encore des timbres, je devrais me renseigner, franchir la barrière molle et immobile de l’escouade antiémeute, d’où s’échappent odeurs et rogatons, et oser m’informer, sans peur du ridicule, et sans doute qu’à ce moment, après tant d’efforts, j’aurai trouvé à qui poster ma carte où j’aurai écrit quelque chose, mais vraiment, qu’écrit-on?

Une résolution

JIZ: Pour la première fois de ma vie, j’ai pris une résolution.

BOZ: Sérieux?

JIZ: J’ignore ce qui m’a pris. Tu sais, parfois, tu descends du bus, tu regardes les passants, et pour une raison que tu ignores, tout te semble différent. Voilà. C’est arrivé comme ça, j’ai pris une résolution.

BOZ: Merveilleux.

JIZ: Pourtant, avant, il n’y en a jamais eu. Et je ne suis pas jeune! Oh pas vieux, pas ce qu’on appelle être vieux, mais jusqu’ici, jamais ça ne m’a traversé l’esprit, jamais ça ne m’a frappé, captivé, emprisonné.

BOZ: Prodigieux.

JIZ: Une résolution! Tu te rends compte? Ça pourrait t’arriver à toi aussi, un jour. Personne n’est à l’abri. On a beau dire, ce qui nous pend au bout du nez nous échappe parfois.

BOZ: Périlleux.

JIZ: Tu l’as dit! Une résolution! Oh, quelle affaire!

Laurent

J’aimerais vous résumer l’histoire de Laurent, mais c’est un peu compliqué. Il a coupé un sapin géant sur un terrain privé, sans penser aux conséquences, simplement pour plaire à cette fille qu’il ne connaissait que de vue, qui ne fréquentait pas son école, qui vivait dans un quartier où il n’avait pas accès. L’arbre est tombé, il y a eu pas mal de dommages, mais évidemment, il n’a pas réussi à convaincre Florence d’être son amoureuse. Non. Elle est partie, et il ne l’a revue qu’une décennie plus tard, dans un cours à l’université. Il ne l’a pas reconnue, mais il s’est abandonné à un coup de foudre, et c’est là que ça a déraillé. Il s’est mis à se bricoler des romans, oh mais de ces romans, vous ne pouvez vous imaginer! Il lui a touché la main, peut-être un baiser, mais c’est tout, elle s’est évaporée, et pour se consoler, il a imaginé qu’un autre étudiant, un étudiant en médecine, l’avait assassinée! Oh la la! Sauf qu’une autre décade plus tard, encore une autre, il l’a retrouvée dans cette ville américaine où il l’a convaincue de le suivre dans son enquête sur une série de meurtres. Cette fois, ils ont fini par faire des bébés, mais pourquoi cela aurait-il duré, il s’est détourné d’elle pour se lancer dans les bras d’une actrice. Il y a, comme ça, des histoires parfaitement absurdes.

Une cigarette

Sur un chemin jonché de feuilles mortes, dans l’odeur de terre humide, dans le brouillard d’un matin d’octobre.

JOSAN: Je te donne tout ça, tout, pour toi tout ça!

YANA: Je n’en veux pas! Va-t’en! Disparais! Meurs si tu le peux!

JOSAN: Je te donne la joie des chevaux quand le printemps revient, le rire des vieux qui ne craignent pas la mort, le rire des enfants qui ne connaissent pas la vie, les fruits qui poussent chez moi, les fruits que je volerai, le ciel sans nuage sur la mer tranquille, des montagnes de mots qui s’entrelacent, des lits qui s’envolent, le parfum qui enivre et transporte dans les Caraïbes, des marées de joies et des tempêtes de poésie, des loups qui libèrent des douleurs, une éternité de couleurs qui caressent ces rues, de doux voiles pendus aux étoiles, mes mains remplies d’ombres que je lance dans le feu du soleil.

YANA: Va-t’en!

JOSAN: Tu veux que je chante? Qu’ai-je d’autre?

YANA: Chante si ça te plaît. Mes chiens te chasseront, leur férocité aura raison de toi!

JOSAN: Tu veux une cigarette?

YANA: Je ne fume pas. Je ne fume pas, mais je veux bien.

Sur un chemin jonché de feuilles mortes, dans l’odeur de la terre humide, dans le brouillard d’un matin d’octobre, ils fumaient en parlant des jours, jours anciens, à venir, jours grands, longs, pluvieux ou pas, jours ordinaires. Ils parlaient.

Il y en a qui s’en tirent, d’autres pas

Jean s’est accroché à Martin qui a demandé à Marcel de tuer Jean mais Paul est intervenu avec l’aide de Marc qui a menotté Marcel sous le regard ébahi de Sébastien au moment où il appelait Étienne qui cherchait Martin dans les quartiers sombres où Rosaire trafique habituellement sa camelote avec Richard qui a prêté mille dollars à Jean dans le but d’aider Joël à qui Sébastien a cassé les dents lorsque Marcel a insinué qu’il était de mèche avec Étienne pour faire la peau à Paul ce qu’a tout de suite nié Rosaire à qui Martin avait raconté les rumeurs colportées par Marc qui déteste Jean depuis l’histoire de Martin si bien que Paul a fini par tuer Jean tout en jetant le blâme sur Sébastien que Joël a poignardé par vengeance devant Richard qui a fini par se réfugier chez Martin qui lui a déchargé son fusil dans la poire malgré les bons mots de Paul qui a voulu sauver Marc mais en vain car Rosaire l’a étranglé de ses mains de géant sans que personne n’intervienne.

Les satanés paresseux

Je suis paresseux. Alors, lorsque je crois un type paresseux, je le fusille du regard, et s’il n’est pas vexé, je le fusille du fusil. Je ne supporte pas les paresseux.

FERNO: Mais faut te contenir, mon cher. Vous vous entretuerez!

Heureusement, nous ne sommes pas nombreux. Il suffit de ne pas fréquenter les lieux où pullulent ces incapables. Facile. Il suffit de ne pas être là où je suis. Aussi, lorsque je suis quelque part, je pars. Ça limite les conflits, la tuerie, et je peux vivre une vie comme jamais on ne pouvait espérer en vivre une.

FERNO: Moi, j’ai faim.

Mangeons, buvons. Laissons ma voisine à ses profondes pensées. Elle écoute aux portes, et chaque fois, vraiment chaque fois, elle fabrique un sens profond à ce qu’elle entend. Ma voisine, elle est si! Si! Oh oui.

Avoir peur de Roland

Finalement, il n’y avait pas tant à dire, encore moins à écrire. Les portes de la grange étaient toutes ouvertes, tout le village aurait pu assister au meurtre, les coups de couteau d’abord, le lancer de la hache ensuite, la grande finale avec la fourche. Ça se voyait de loin, ça s’entendait d’encore plus loin encore, même si au premier abord il était difficile de reconnaître les acteurs de ce drame. Mais en s’approchant, en observant, on pouvait rapidement conclure qu’il s’agissait de Roland, le palefrenier, et de Sébastien, le facteur. Sébastien étant celui qui succombait, Roland celui qui frappait.

Quand le maire est arrivé, il a conclu que c’était clair, qu’il n’y avait pas à tergiverser, emprisonnement pour Roland, enterrement pour Sébastien, et que la vie continue.

Ce n’est que plus tard, bien plus tard, que les choses se sont embrouillées. Ceux qui n’avaient pas osé parler parlaient, ceux qui ne se souvenaient pas racontaient, ceux qui aimaient parler inventaient, de sorte qu’on a fini par se demander si c’était bien Sébastien, le macchabée, et Roland, le prisonnier. On a déterré Sébastien, mais impossible de trouver Roland. Contre toute attente, il s’était évadé, et personne ne s’en était rendu compte.

Depuis, tout le village a peur de Roland le revenant. Même s’il n’est jamais revenu au village, même s’il a fui à l’étranger, et qu’il vit heureux en Tasmanie, avec des gens qu’il aime, des enfants qu’il nourrit, une pelouse qu’il tond et des cheveux qui grisonnent.

Mais au village! Chacun jure l’avoir rencontré au bout du champ des Charpentier, ou au détour d’un chemin forestier, ou flottant la nuit au-dessus de la rivière.

L’amour sous-marin

Aujourd’hui, exception à la règle, nous rapportons, des grottes sous-marines de la côte Atlantique, une histoire d’amour.

Avant de plonger, ils ne se connaissaient pas. Des inconnus, des étrangers.

Plouf.

Éclat dans les yeux, derrière l’ovale des masques.

Ils ont trouvé le secret de la vie dans la grotte. Tant mieux pour eux. Personne ne les dérangera, personne ne viendra leur vendre des aspirateurs ou des encyclopédies.

Ou une voiture électrique.

Là-haut, on s’est inquiété, affairé, attristé.

S’ils vivent encore?

Faudrait aller voir. Mais qui oserait? Et comment retrouver ces grottes? C’est pas moi qui vous indiquerai le chemin.