Ils vendent des cartes postales, je suis étonné qu’ils en vendent toujours, qui les achète, qui n’a pas de téléphone, qui ne peut pas empiler des milliers de photos du monument à la gloire de l’inventeur de l’âme qui trône sur la Place des Nations?
Ils les vendent pourtant, leurs cartes postales, ils les vendent au même comptoir que les passeports, juste à côté du kiosque des crèmes hydratantes aux peptides devant lequel une file de débardeurs attend en pleurant.
Les éléphants dansant, les tigres jonglant, les ours chantant et les singes travaillant sont en ville, ils campent sur le terrain vague derrière la mairie, là où ne pousse plus rien depuis qu’on y a répandu trois couches de rejets de la fabrique de peinture rouge.
C’est la joie, on s’en doute, c’est l’euphorie, et ça se lit dans les yeux des commissaires qui refusent de contrôler depuis qu’ils ont découvert les plaisirs de la transe, même si les citoyens des maisons à colonnes le leur reprochent parfois, le dimanche matin à sept heures.
Qu’importe, vous dirai-je, puisque l’assistante de direction aveugle se dandine, les deux mains dans les poches, une carte postale entre les dents, racontant à la foule qu’elle compte écrire une chanson, écrire un poème, écrire une longue missive à des inconnus qui vivent sur une île flottante au large du terminal pétrolier.
En tout cas, je ne m’explique pas pourquoi j’en ai acheté une, j’ignore à qui je pourrais l’envoyer, et comment procéder, vend-on encore des timbres, je devrais me renseigner, franchir la barrière molle et immobile de l’escouade antiémeute, d’où s’échappent odeurs et rogatons, et oser m’informer, sans peur du ridicule, et sans doute qu’à ce moment, après tant d’efforts, j’aurai trouvé à qui poster ma carte où j’aurai écrit quelque chose, mais vraiment, qu’écrit-on?