Finalement, il n’y avait pas tant à dire, encore moins à écrire. Les portes de la grange étaient toutes ouvertes, tout le village aurait pu assister au meurtre, les coups de couteau d’abord, le lancer de la hache ensuite, la grande finale avec la fourche. Ça se voyait de loin, ça s’entendait d’encore plus loin encore, même si au premier abord il était difficile de reconnaître les acteurs de ce drame. Mais en s’approchant, en observant, on pouvait rapidement conclure qu’il s’agissait de Roland, le palefrenier, et de Sébastien, le facteur. Sébastien étant celui qui succombait, Roland celui qui frappait.
Quand le maire est arrivé, il a conclu que c’était clair, qu’il n’y avait pas à tergiverser, emprisonnement pour Roland, enterrement pour Sébastien, et que la vie continue.
Ce n’est que plus tard, bien plus tard, que les choses se sont embrouillées. Ceux qui n’avaient pas osé parler parlaient, ceux qui ne se souvenaient pas racontaient, ceux qui aimaient parler inventaient, de sorte qu’on a fini par se demander si c’était bien Sébastien, le macchabée, et Roland, le prisonnier. On a déterré Sébastien, mais impossible de trouver Roland. Contre toute attente, il s’était évadé, et personne ne s’en était rendu compte.
Depuis, tout le village a peur de Roland le revenant. Même s’il n’est jamais revenu au village, même s’il a fui à l’étranger, et qu’il vit heureux en Tasmanie, avec des gens qu’il aime, des enfants qu’il nourrit, une pelouse qu’il tond et des cheveux qui grisonnent.
Mais au village! Chacun jure l’avoir rencontré au bout du champ des Charpentier, ou au détour d’un chemin forestier, ou flottant la nuit au-dessus de la rivière.