Les deux chiens devisent hardiment pendant que leurs maîtres ne parlent que de leurs chiens, de leurs pedigrees, de leurs nourritures, de leurs soins.
BARON: Mon maître est amoureux de ta maîtresse, mais il est trop con, il ne lui parlera que de moi, jusqu’à la fin des temps.
HOMER: Ma maîtresse sait que ton maître est amoureux, et comme c’est un homme qui ne parlera jamais que de toi tant qu’elle ne lui parlera pas de lui, elle préfère qu’il ne parle que de toi, parce qu’un homme qui ne parlera que de toi maintenant l’assommera dans trois ans si elle lui ouvrait les bras.
BARON: Ce n’est pas de la timidité, c’est de la pusillanimité.
HOMER: Ça se sent. Il pue la pusillanimité.
BARON: C’est son odeur. Partout. Jusque sur les croquettes qu’il me sert. Parfois, j’en ai la nausée.
HOMER: Mon pauvre. Tu n’a jamais pensé à fuguer?
BARON: J’ai fugué cinq fois. La première, la voisine m’a reconnu et ramené. La deuxième, il m’a récupéré à la fourrière. La troisième, il m’a retrouvé. La quatrième, une voiture m’a heurté et cassé une patte. La cinquième, on m’a retrouvé grâce à la puce qu’il a placée sur ma médaille. Là, tu vois? Impossible de m’en défaire.
HOMER: Ce n’est pas une vie.
BARON: Je me traînerai dans cette existence, jusqu’au jour où je suffoquerai. On me retrouvera crevé sur mon tapis, sans comprendre mon calvaire.
HOMER: Entre la puanteur et la mort, la marche est haute mon cher.
BARON: Je sais. Ça adoucit la douleur de s’en plaindre au premier venu. Tu le vois, là, mon maître voudrait bien bredouiller de véritables mots à ta maîtresse, mais il n’y parvient pas, il sait qu’il n’y parviendra pas.
HOMER: Il est piégé.
BARON: Il sait qu’il n’y parviendra pas, mais il ne trouve pas le courage de partir. Ta maîtresse va bien finir par lui tourner le dos.
HOMER: Ce serait divertissant. Elle tire sur ma laisse, imperceptiblement. C’est le signe. Nous partirons bientôt.
BARON: Je ne te reverrai jamais. Chaque fois que mon maître apercevra ta maîtresse au loin, il m’entraînera dans la direction opposée. Sale poltron!
HOMER: Sans cette puanteur, je te le dis, ils étaient faits pour vivre ensemble. Au moins une bonne douzaine d’années.
BARON: Nous finirons avec une malodorante. Ce sera le bouquet.
HOMER: Adieu. Tu vois, ma maîtresse met les voiles sans un mot, sans attendre que ton maître termine son interminable phrase sur les chiens de ton espèce.
BARON: Ce ne sont pas des paroles, ce ne sont que des modulations dispersées dans le vaste univers parmi des millions d’autres modulations.
HOMER: Courage!
BARON: Ces émanations!
HOMER: …
BARON: Me voilà bien seul d’une solitude injuste. Cruel châtiment de mon maître indigne!