Ils ont la quarantaine, de jolis habits, de jolies voix, de jolies moues. Assis sur la corniche de l’immeuble dans lequel ils convoquent, supervisent, animent des réunions du matin au soir. Cinquante-deux mètres plus bas, une fête foraine. Ambulante. Leurs quatre pieds battent l’air, ça me donne le vertige.
DAMIEN: Une brosse à dents électrique dont la tête s’adapte à la forme de chacune des dents, qui peut aussi dégager le tartre entre les dents, tout cela en moins d’une minute pendant que je vérifie mes messages sur Instagram, Colégram, Psychodrame.
FABIEN: Une guitare hypersensible dont je n’ai qu’à effleurer les cordes pour produire des accords clairs, qui ne sonnent jamais faux, ce qui me permet de jouer des morceaux nettement au-delà de mes compétences.
DAMIEN: Une voiture équipée d’un auto-nettoyant universel qui chasse la moindre tache de boue dès qu’elle se pose sur la carrosserie de façon à ce qu’elle garde son éclat d’origine sous toutes conditions, hiver comme été.
FABIEN: Un gazon modifié génétiquement qui ne dépasse jamais trois centimètres, et dont les propriétés incluent une résistance accrue aux canicules, ce qui permet de conserver une pelouse bien verte quand tout le voisinage s’attriste devant de fâcheux parterres brunâtres.
DAMIEN: Une maison dotée d’un système d’alimentation énergétique autonome capable de neutraliser tout visiteur suspect grâce à une cellule de détection thermographique jumelée à un module de neutralisation neurologique intégrée dans un réseau biométrique, démagogique et apocalyptique.
FABIEN: Un téléviseur qui parvient à extirper l’esprit de son enveloppe corporelle tout en conservant l’essence de sa causalité organique afin de nous intégrer réellement dans l’action qui se déroule à l’écran.
DAMIEN: Trois vélos de course professionnels.
FABIEN: Trois collections complètes de La Pléiade.
DAMIEN: Trois ordinateurs surnaturels.
FABIEN: Trois réfrigérateurs autocuisinants.
DAMIEN: Trois de tout et épatant.
FABIEN: Trois enfants.
DAMIEN: Une femme.
FABIEN: Trois rébus.
DAMIEN: Trois questions sans réponse.
FABIEN: Hélas.
DAMIEN: Une solution incontournable.
Les quarantenaires se lèvent, agiles, et d’un élan fantastique, se précipitent dans la cage d’escalier, plus rapides qu’aucun ascenseur ne pourrait l’être. En quelques maigres minutes, ils atterrissent au milieu de la fête foraine, et sans un mot, le souffle coupé, ils courent s’empiffrer de barbe à papa. Leurs éclats de rire et les taches multicolores sur leurs vestes me donnent le vertige.