Gravelle

Personne n’ose prononcer son nom, peut-être parce que plusieurs en sont morts, et cela même dans un village aussi joli que le nôtre où la grande allée de gravelle est photographiée tous les ans par des foules de touristes.

BUT: Combien?

AST: Combien? Le maire a bien voulu les compter l’été dernier, et le compte rendu qu’il a présenté au conseil municipal faisait état de quarante-deux touristes.

Les pigeons

Attention: l’enseignante a crié parce qu’il n’y avait plus de sauce industrielle à verser sur les frites et le fromage avait une texture caoutchouteuse. Alors j’ai décidé de m’acheter des roulements à bille, pour que tout roule à merveille.

GUS: Vous divaguez.

Buvons ce jus de citron, et observons les pigeons. Ça vaudra mieux, pas vrai?

Histoire salace

Pour plaire et me cacher, j’ai une histoire salace à raconter. Il est entré, ils étaient tous là, ils lui ont ri au nez, il a marché droit vers elle, elle l’a fusillé du regard, et le soir même, ils roulaient le long de la mer, à une allure folle. Quand la voiture s’est arrêtée, elle était enceinte, ils ont planifié un avenir passionnant, mais dès le lever du jour, elle repartait sur la route, seule. Il a marché, marché pendant des heures, jusqu’à entrer dans cet étrange palace, où douze enfants l’ont appelé papa. Bouche bée, il s’est regardé dans un miroir, n’a vu aucune ressemblance avec la meute hurlante. Il a dévalé l’escalier, un bel escalier de marbre, et s’est réfugié chez les voisins, où on lui a fait couler un bain. L’hôte et l’hôtesse l’y ont vite rejoint, mais il dormait déjà, le corps baigné dans une eau très chaude. Oh non, il ne dormait pas. Non. Il était mort.

Laurent et Florence au café

Donc, donc, donc, dès qu’il aura ouvert la porte de verre, ou est-ce Florence qui l’a fait, il s’est retrouvé dans cette salle, longue et mince comme un wagon-restaurant, avec deux séries de tables de part et d’autre d’une allée centrale qui mène jusqu’au comptoir, installé au fond. Trois mètres du sol au plafond, quatre mètres entre les deux murs latéraux, onze mètres de la porte au mur derrière le comptoir. Un espace de cent trente-deux mètres cubes aux couleurs chaudes, couleurs de sable, de terre, murs crème, carreaux au sol crème, boiseries d’acajou, boiseries de sapin. Un corridor, ni plus ni moins, qui mène au comptoir et à son encadrement. Là, l’accumulation d’éléments décoratifs laisse perplexe. Cet encadrement divise la salle en deux. Les tables accaparent les trois quart de l’espace, et le comptoir, derrière l’encadrement, le quart du fond. L’encadrement est composé d’une poutre reposant sur deux piliers encastrés dans les murs de droite et de gauche. Cette poutre et ces piliers sont recouverts de fines plaques d’acajou, ou de bois teint aux couleurs d’acajou, et forment un cadre devant le comptoir. Étonnamment, on a ajouté aux angles supérieurs formés par les piliers et la poutre, des jambes de force sculptés mécaniquement, pleins, larges, qui semblent d’autant plus imposants et larges que la pièce-corridor est mince. Deux volutes terminent chaque extrémité du jambage, ce qui confère à l’ensemble un air pompeux. Mais ce n’est pas tout. De chaque côté de la pièce, collés aux piliers, se dressent deux demi murs à caissons qui s’avancent de soixante-quinze centimètres, avec leurs quatre rangées de trois petits carrés. Déjà, on le voit, le décor se charge, on flaire la volonté d’en imposer, d’exposer de la boiserie. Sans doute éperonné par un enthousiasme délié, le patron a ajouté deux énormes lampes aux extrémités des demi-murs. Et pas n’importe quelles lampes! Larges colonnes d’un mètre de haut, tore à la base, baguées d’astragales aux quatre cinquième, chapiteaux à volutes au sommet, sur lesquels reposent deux boules de lumière. Un étranger, comme Laurent, peut se demander où conduit un châssis pareil! Ou peut-être pas. Peut-être ne distingue-t-on pas cette poutre, ces jambes de force, ces lampes, simplement parce que derrière se déchaîne une autre avalanche de boiseries qui, vues de loin, se confondent un en seul méli-mélo indistinct, aux formes vagues, un bric-à-brac d’antiquaire dans une boutique exigüe.

L’homme utile

Je suis entré dans l’ascenseur, il a brandi une machette, m’a coupé la main droite, j’ai saigné jusqu’à ce que les portes s’ouvrent, un fonctionnaire a appelé les secours en se sauvant, je me suis évanoui, réveillé sur un lit d’hôpital près du chef d’une bande de voyous qui m’a confié un secret, la cachette d’un magot, il est mort peu après, j’ai attendu deux ans, j’ai retrouvé le magot, une fortune, la richesse, et par un hasard étonnant, on m’a arraché la deuxième main, un gamin qui jouait avec des pétards, je me suis payé des prothèses, alors j’ai décidé de collectionner des photos de castors, j’en ai des milliers, je prépare une exposition, un grand événement, faut bien faire quelque chose d’utile de sa vie.

Fallait y penser

TIC: Vous êtes vil, laid, grossier et disons-le, menteur et assassin.

RAN: Oui, mais peu m’en chaut.

TIC: Ça, je ne le comprends pas. Vous êtes hypocrite, cruel, sournois.

RAN: Mon cher, le développement de la pensée me permet de penser que je suis autre.

TIC: Seriez-vous crédule? Mystique ou mystifiant?

RAN: Penser c’est croire, croyez-moi!

TIC: Croire que penser c’est croire, c’est une imposture.

RAN: Un des piliers de notre village.

TIC: Vous ne vous en sortirez pas à si bon compte, je suis le maire, je vous ferai emprisonner.

RAN: Vous ne le ferez pas, car ainsi vous me donneriez raison, et que serait votre vie?

TIC: Circulez!