Héloïse, femme intelligente et rousse, adore les séries télévisées. Trop. Elle le sait, elle l’avoue, elle s’en excuse.
HÉLOÏSE: Pardonnez-moi, j’aime trop les séries télévisées.
Cela, personne ne s’en soucie. Puisque Héloïse les aime ses séries, qu’elle les écoute, qui peut l’en empêcher? Elle n’a pas le temps de travailler, mais pour s’adonner librement à sa passion, elle a su dénicher une source de revenus intarissable, sa mère. Mais qu’on ne s’y méprenne.
HÉLOÏSE: Faut pas croire.
Dans cette famille, le dialogue est rompu. Héloïse n’a pas adressé la parole à sa mère depuis une trentaine d’années. Mais elle a toujours su inventer une manigance, avec l’aide d’avocats payés par l’État, pour siphonner du portefeuille maternel les subsides nécessaires à sa survie et surtout, à l’achat de téléviseurs. Car ils s’usent, ces machins, quand on les tient en éveil seize heures par jour.
Quand la mère est morte, il n’y avait plus de fortune. Plus un sou, et même, quelques dettes. On la soupçonne, se sachant condamnée, d’avoir tout dilapidé dans les deux semaines précédant son trépas. Héloïse en était ravagée.
HÉLOÏSE: Ça m’a sciée.
Mais Héloïse a tout de même hérité du corps. Faute de mieux, elle a mis ses séries sur pause, pour tirer le maximum de profit de son nouveau bien.
Elle a contacté la faculté de médecine, pour leur vendre un cadavre flambant neuf. Ils n’en ont pas voulu, parce qu’ils cherchaient plutôt, en ce moment, une neurasthénique asthmatique. Si elle pouvait leur en trouver une, ils lui offriraient dix pour cent de bonus. Vendre un corps à la science n’est pas mince affaire, Héloïse le constatait.
HÉLOÏSE: C’est pas une mince affaire!
Sa mère est morte d’un cancer, mais il lui restait plusieurs morceaux intacts. Héloïse a proposé l’affaire à tous les instituts de recherche de la ville. Tous des radins. Le prix qu’ils acceptaient de payer ne couvrait pas même le transport. Pas question, songea Héloïse, de transporter le corps sur sa bicyclette.
HÉLOÏSE: Faut quand même pas exagérer.
Devant ces difficultés innombrables sur le marché traditionnel des cadavres, Héloïse s’est tournée vers la vente en ligne. Afin d’accroître les recettes, elle a offert la marchandise en pièces détachées. La tête, les bras, les mains, et tout le reste. Elle a même clairement signifié qu’il serait possible de n’obtenir que certains organes, mais ce serait plus cher. Après seulement trois heures, la tête était vendue. À un curé défroqué vivant en ermite en Alaska. Évidemment, quelques minutes plus tard, le cœur a trouvé preneur. Celui-là, on se l’est arraché, et les enchères ont monté, au grand bonheur d’Héloïse.
HÉLOÏSE: Je m’en vois bien ravie.
C’est une enseignante à la retraite veuve depuis sept ans qui a obtenu le cœur, en sacrifiant toutes ses économies. Après, toutes sortes de rigolos ont acheté toutes sortes de morceaux, si bien qu’à la fin de cette première journée de vente, il ne restait plus qu’un pied et le nez. Pourtant, on pourrait croire qu’un nez attirerait la convoitise, mais non.
HÉLOÏSE: Les gens n’aiment pas les nez.
Héloïse a refusé de révéler combien elle avait obtenu de ses ventes, mais à la voir écouter ses séries télévisées, auréolée d’une sérénité lumineuse, on en déduit qu’elle a empoché une coquette somme.