Le noeud

JANOT: Monsieur le Président! Monsieur le Président! 

PRÉSIDENT: Mon cher Janot, le nœud de ta cravate est lâche. À mon avis.

JANOT: Monsieur le Président, ils sont debout! Ils sont debout!

PRÉSIDENT: D’abord, ce nœud.

JANOT: Voilà, voilà, Monsieur le Président. C’est bien ainsi? Acceptable?

PRÉSIDENT: Acceptable, oui, parfait, non. Tu sais, Janot, refaire un nœud de cravate est essentiel en tout temps. Bien des hommes, bien des femmes qui en portent aussi, bien des gens sans genre qui en portent aussi, négligent leurs nœuds de cravate. Ils le font le matin, devant la glace, puis ils l’oublient toute la journée. Pourtant, la soie, ça se détend, oh je te l’accorde, souvent imperceptiblement. Mais comment espérer que du matin, disons à huit heures trente, donc que du matin au soir, le nœud maintienne sa rigidité, sa prestance et sa force. C’est oublier que le corps s’est levé des dizaines de fois, le tronc a pivoté, les bras ont remué, la tête, il ne faut pas l’oublier celle-là, n’a cessé de se tourner de gauche à droite, de haut en bas. Ne l’oublions pas, car tous ces mouvements, vois-tu, sollicitent, à divers degrés, les muscles du cou. Or, quand ces muscles se contractent et se relâchent, que se passe-t-il? Eh bien, cela crée un mouvement qui agit directement sur le col, et par là, sur le nœud. Il faut en prendre conscience, mon cher Janot, parce qu’un nœud reflète l’âme de celui qui le porte. Un nœud mou, tu l’as deviné, suggère un individu qui doute de tout, incapable de prendre des risques et d’avancer. Un perdant, quoi. Tandis qu’un nœud toujours bien serré, bien solide, montre la force de caractère de celui qui le porte. Il inspire respect, celui que l’on doit aux véritables chefs. Mon cher Janot, si tu as l’ambition de demeurer au sein de mon équipe, au coeur même de la Maison-Rose, traite ton nœud avec tous les soins que son existence commande.

JANOT: D’accord Monsieur le Président, d’accord.

PRÉSIDENT: Ils sont debout, disais-tu? Mais qui donc, à part nous deux, en ce moment?

JANOT: Les damnés de la terre, Monsieur le Président, les damnés de la terre! Debout!

PRÉSIDENT: Ce ne serait pas la première fois ni, hélas, la dernière.

JANOT: Que dois-je faire? Ils sont nombreux, vous savez, beaucoup plus que nous l’avions estimé.

PRÉSIDENT: Invite-les à se rasseoir. Voilà tout.

JANOT: Il y en a de tous les pays, Monsieur le Président. Certains sont partis de l’autre côté de la terre, ils ont marché depuis leur naissance pour se rendre ici.

PRÉSIDENT: Je parie qu’ils veulent manger mieux, se loger mieux, s’habiller mieux, se soigner mieux, et par-dessus le marché, se reposer. Comme d’habitude.

JANOT: Pas tout à fait, monsieur le Président, pas tout à fait.

PRÉSIDENT: Que veulent-ils donc? Un téléphone intelligent? Une connexion internet?

JANOT: Ils veulent vous remplacer par un des leurs, monsieur le Président. Et moi aussi, par un des leurs aussi. Et nous tous, monsieur le Président.

PRÉSIDENT: Ton nœud de cravate! Ne l’oublie pas!

JANOT: Non, monsieur le Président.

PRÉSIDENT: Dans les grands moments de stress, refaire son nœud de cravate permet de canaliser toute son attention pour quelques secondes, et c’est parfois suffisant pour retrouver le calme nécessaire aux grandes décisions.

JANOT: Que doit-on faire, monsieur le président? Appeler l’armée?

PRÉSIDENT: Défais et refais ton nœud, Janot, tu dois impérativement te calmer.

JANOT: Oui, monsieur le Président. Sachez qu’ils approchent!

PRÉSIDENT: Voilà. Maintenant, tu vas appeler mon cousin Jean, tu lui diras d’offrir un rabais de soixante pour cent sur tous les fauteuils inclinables, bien rembourrés.

JANOT: Oui, monsieur le Président.

PRÉSIDENT: En cuir.

JANOT: Pardon?

PRÉSIDENT: Les fauteuils. En cuir. Ne soyons pas pingres, la cause est élevée, l’objectif noble.

Quelques minutes plus tard.

JANOT: C’est fait, monsieur le Président. Les fauteuils inclinables se vendent.

PRÉSIDENT: Quels sont les résultats, du côté des damnés?

JANOT: La moitié se sont déjà assis.

PRÉSIDENT: Et l’autre moitié?

JANOT: Même à soixante pour cent, c’est trop cher pour eux.

PRÉSIDENT: Dites à mon cousin de réduire davantage. Il faut réduire, Janot, réduire tant que le dernier ne se sera pas assis.

JANOT: Entendu, monsieur le Président.

PRÉSIDENT: Assis, les damnés de la terre! Il n’y aura pas de révolution cette année!

JANOT: Non, monsieur le Président.

PRÉSIDENT: Janot!

JANOT: Oui, monsieur le Président?

PRÉSIDENT: Ton nœud!

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