Le jour du dixième anniversaire de son mourômuniq, Lucille a enfermé son mari Julien dans un coffre de cèdre. Vert.
C’était devenu impossible pour Lucille d’avoir à la fois un mourômuniq et un homme dans sa vie. Un choix s’imposait. Brave Lucille, elle a choisi sans hésiter le mourômuniq.
Liberté.
Dorénavant, elle pouvait consacrer la quintessence de son amour, de ses heures, de ses soucis, à son mourômuniq. Sans filtre. Parce que Julien n’en finissait plus de soulever des doutes, de relever des contradictions, de réclamer. Julien faisait tache, il n’était plus invisible.
Avant d’agir, certes, Lucille s’est sondée. Elle n’est pas femme à révolutionner sa vie sur un coup de tête.
Il y avait bien sûr la possibilité, pratique, d’obtenir un divorce. Sauf que ça la priverait de la fortune de Julien, et les divorcés ne disparaissent jamais complètement. Ils traînent à jamais une rancune inquisitrice.
L’idée du veuvage lui est apparue, oh, mais très brièvement. La mise en œuvre ne la rebutait pas, malgré quelques hésitations sur les méthodes. Non. Lucille s’est simplement dit que peut-être, un jour, elle aurait à nouveau besoin de Julien, comme jadis. Et puisque trouver un nouveau Julien représenterait un défi dont la taille croissait avec les années, mieux valait conserver celui qu’elle avait sous la main.
D’où le coffre en cèdre.
Puis ce furent vingt ans de bonheur indicible. Inodore.
Un matin, ou était-ce un soir, le mourômuniq a disparu. Il n’était plus là. Ni dans la maison ni dans le jardin, nulle part.
Lucille a hurlé, jeûné, prié. Elle a lancé des recherches dans tout le comté, dans tout le pays, jusqu’en Patagonie. En vain.
Jamais elle ne retrouverait le mourômuniq, elle le savait, et peu à peu, l’acceptait. En pleurant.
Alors elle s’est souvenue de son coffre en cèdre. Et de Julien.
Elle avait besoin de Julien. Pour la consoler, pour lui tenir la main, pour ne pas laisser s’évaporer les quelques baisers qui lui restaient.
Mais Julien n’était plus tout à fait lui-même. On aura beau protester, vingt années dans un coffre en cèdre, ça laisse des traces.
Julien ne parvenait plus à se déplier. Paralysé dans une position foetale, ses membres atrophiés, il ne ressemblait plus à cet homme fier qu’il avait été.
Malgré tout, Lucille décida que ce nouveau Julien, c’était bien suffisant.