Jasper a donné rendez-vous à Danny sur la Promenade des Poêlons, nommée en l’honneur de la fabrique qui a fait la réputation de la ville jusque et autour de la capitale. On y produit des poêlons d’une très grande qualité. Ils coûtent peut-être un peu plus cher, mais ils vous serviront jusqu’à votre dernière omelette.
JASPER: J’ai pris une grande décision, une décision qui transformera ma vie.
DANNY: Encore? Tu sais que tu m’as diablement inquiété. Me donner ce rendez-vous mystérieux sur la Promenade des Poêlons, ce n’est pas dans tes habitudes, je croyais qu’il t’était arrivé malheur, que tu m’annoncerais un cancer des glandes lacrymales, une sclérose déraisonnable, une embolie incurable! Pourquoi cette mise en scène, ce cérémonial superfétatoire?
JASPER: Justement!
DANNY: Ça ne m’éclaire pas.
JASPER: J’aurais pu te parler comme d’habitude, mais il me fallait autre chose, vois-tu, quelque chose de complètement inutile. Mais inspirant.
DANNY: Viens-en au but, ton charabia m’embrouille, et je dois retourner au bureau dans quinze minutes.
JASPER: Vu l’état de ma carrière de coureur automobile…
DANNY: Qui a duré six mois.
JASPER: … où j’ai perdu mon innocence et mes illusions…
DANNY: Et plus de cent mille dollars. D’ailleurs, je te rappelle que tu me dois encore vingt-deux mille dollars.
JASPER: … je me suis recueilli, j’ai médité, lévité, cogité…
DANNY: Et trouvé un plan de remboursement?
JASPER: … jusqu’à ce qu’une illumination m’inonde de ses révélations qui…
DANNY: Je crains le pire.
JASPER: … m’ont enfin fait comprendre ce que serait dorénavant ma vie, toute ma vie!
DANNY: Tu vas enfin t’enrichir? Comment est-ce possible?
JASPER: Ma fortune se fera malgré moi. Je pénètre dans le temple de ma nouvelle vocation.
DANNY: Ça se corse. Je te le dis sans détour, je ne suis pas en mesure de te prêter davantage.
JASPER: Comment ai-je pu me méprendre ainsi jusqu’à ce jour!
DANNY: Te voilà au point où tu dois conclure. De quoi s’agit-il? Dis-le sans détour, avoue tout!
JASPER: Je serai écrivain. Écrivain de romans. Voilà.
DANNY: Oh mes aïeux! Tu n’as jamais lu un livre, comment peut-on se faire écrivain quand on n’a jamais lu un seul roman? Cette aventure me paraît encore plus hasardeuse que la course automobile.
JASPER: J’ai lu les Aventures prodigieuses de Tartarin de Tarascon. Hier. Enfin, je l’ai commencé le mois dernier, et je l’ai terminé hier. Maintenant que j’ai du vocabulaire, que je suis inspiré, j’aurai une brillante carrière d’écrivain!
DANNY: Ah! Diantre! Quelle catastrophe! Qu’est-ce qu’il racontera, ton roman?
JASPER: Ma carrière de coureur automobile. Mais je changerai les noms, et j’inventerai un peu. Je copierai les faits divers les plus émouvants, il y aura un peu de sexe, et tout ça mis ensemble, ça fera très moderne. Et ne t’en fais pas, mon héros, dans le roman, il te remboursera. Tout.