Le bonheur dans le fonctionnariat 

J’ai franchi toutes les étapes pour obtenir un poste dans la fonction publique, toutes les étapes sauf une. Le directeur du service, homme fort aimable, obèse et amateur de casse-têtes, m’a félicité, avant de me présenter cinq enveloppes. Je devais en choisir une, une seule qui contiendrait la dernière épreuve avant qu’on n’ajoute mon nom aux dizaines de milliers d’autres qui reçoivent un salaire tiré à même les fonds publics. Soit. J’ai fermé les yeux, j’ai tendu la main, j’ai retiré la première enveloppe que mes doigts ont touchée. Mon épreuve: je dois courir vingt mètres sur la corniche de l’immeuble où je travaillerai, si bien entendu je suis embauché. La corniche fait trente centimètres de large, l’immeuble a onze étages, en bas c’est une cour bétonnée avec de jolis bancs de béton où les fonctionnaires mangent leurs lunchs les jours d’été. Mon ami Yves, qui disait qu’obtenir un poste de fonctionnaire est facile, je voudrais l’y voir, là-haut, courir à quarante mètres du sol! D’accord, la distance, vingt mètres est négligeable, surtout qu’il n’y a pas de temps minimum à respecter. Mais risquer sa vie pour signer un contrat d’embauche! Je me doutais que c’était périlleux, comme n’importe qui s’approche du fonctionnariat j’avais entendu des rumeurs. On ne peut nier qu’il existe une réelle possibilité de ne pas obtenir le poste. Si le coureur tombe, il est éliminé, le directeur a été clair sur ce point. S’il tombe côté toit, il est simplement renvoyé chez lui, avec la honte au front et la pauvreté comme perspective d’avenir. S’il tombe côté cour, son sort est scellé, il ne sera ni fonctionnaire ni vivant. Je vous entends (si si, je vous entends) me dire que le trépas est préférable à la perte irrévocable d’un poste de fonctionnaire. Il y a du vrai là-dedans, mais tout de même, chacun souhaiterait tout gagner, le poste et la vie. Trêve de divagations, le directeur est prêt, je dois m’élancer, parcourir les vingt mètres qui me séparent du bonheur. Go! Je détale, je cours, tout va bien, tout va, je ne regarde que la corniche, droit devant, l’œil rivé sur la ligne d’arrivée. Je cours, je cours, j’y arriverai. Oh! Oh! Mon pied dérape, il fallait s’y attendre, je tangue à droite, je tangue à gauche, mais je n’interromps pas la course, je fonce et je vacille, mais je me refuse à regarder le béton, en bas, je maintiens l’oeil sur mon but et je reprends à peu près l’équilibre, et dès que je franchis la ligne d’arrivée, je me laisse choir côté toit. C’est dans la poche! Je me relève, le directeur me présente le contrat, je le signe aussitôt. Victoire! Quand je l’annoncerai à ma chatte, elle sera fière de moi. Honnêtement, je peine à y croire même si, ou peut-être parce que, c’était mon rêve depuis des années. Moi, fonctionnaire! Moi, j’ai signé un contrat pour une durée de deux semaines. J’ose à peine imaginer ce que seront les épreuves lorsqu’il s’agira d’un contrat pour un an.

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