Gaston, y a son cellulaire qui sonne, mais y a jamais personne qui répond. C’est dommage, parce qu’il y a urgence, et aujourd’hui, tu aurais apprécié que ça réponde.
Car te voilà mal en point, la jambe gauche prise sous le pneu de ta voiture, comment es-tu parvenu à te mettre, seul, sans l’aide d’un autre idiot, dans une position si inconfortable et probablement douloureuse, du moins elle le deviendra, du moins les conséquences le seront. Et s’il n’y avait que cela! Ta main qui saigne abondamment parce que tu t’es planté un clou, rouillé, oh tétanos oh tétanos, quand tu as voulu te relever sans auparavant te rendre compte des environs, des dangers qui te guettaient, et le pied droit qui s’est cassé quand la jambe gauche s’est gauchement glissée sous le pneu, parce qu’il s’est tordu au-delà de toute possibilité gymnastique, et comme tu as la souplesse d’un pantin de cèdre, mais ce qui t’agace encore plus, n’est-ce pas, c’est ce fil d’acier qui t’a percé l’oeil gauche, tu ne le supportes pas, si tu te laissais aller, tu crierais, sans savoir toutefois si ce serait de douleur ou de peur, car avoue que tout ce sang qui étale sa belle couleur écarlate autour de toi et sur toi et en toi, car tu as deviné qu’il y avait ça aussi, une ou deux blessures internes, mais puisque tu n’as pas fait ta médecine tu ignores si ce ne sont que des chairs molles ou s’il y a par là un organe, un de ceux qu’on dit vitaux et auxquels on tient absolument même si on ne les a jamais vus, même si l’occasion de faire leur connaissance ne s’est, peut-on dire, jamais présentée.
Gaston, y a toujours personne qui répond. Ne t’en fais pas, ne t’en plains pas, c’est ton destin, c’était écrit.
Tout à l’heure, si tu t’éteignais, faute de sang à battre, tu pourrais laisser sonner ton cellulaire. Qui sait ce que te réserve l’avenir? On finira peut-être par répondre, et au moins, faute de mieux, on verra bien que tu as appelé.
Et ça, Gaston, ce n’est pas banal.