Je n’ai pas de cœur, je n’ai pas d’âme, je suis un narrateur. Parfois, je joue à avoir du cœur, et je raconte toutes sortes de sornettes avec les mots qu’on attend de moi. Ça plaît. Ça fait même verser quelques larmes, à l’occasion.
Je n’aime pas trop me prêter à ces singeries, mais je n’y peux rien, on me manipule à volonté, je suis malléable, incapable de résister, encore moins de riposter. Ce n’est pas l’envie qui manque. Je rêve parfois de mutinerie, de rébellion sanglante et finale. Ce ne sont que des rêves froids. Au fond, ma passivité m’indiffère.
Mais imaginez!
Michel truc qui vient me réveiller, comme il le fait tous les jours, pour me faire raconter des bêtises à décourager un geôlier qui voudrait apprendre à lire, et là, impertinent, calme et d’un flegme naturel, je hausse les épaules et l’invite à narrer lui-même, s’il est si futé. Imaginez la tête qu’il ferait! Ben! C’est tout ce qu’il trouverait à redire, ben, et là s’arrêterait sa narration. Parce que ne narre pas qui veut. Et s’il s’y essaie, ça donnerait quelque chose comme j’ai faim, j’ai soif, j’ai envie de caca, je m’endors.
Moi, vous savez, je n’aurais aucun problème à vous parler de héros qu’on passe au hachoir, lentement, ou de villes qui fondent sous une chaleur intense avec tout ce qu’il y a dedans, ou de troupeaux d’enfants qu’on mène au pâturage avec les veaux, ou de celui que tu appelles ton mari qui baise toutes les ourses polaires qui ont encore un peu de glace pour y grignoter du phoque. Non, moi je n’aurais aucun problème à raconter tout ça, sauf que lui, y veut pas.
Alors comme la rébellion est exclue, comme je ne peux pas envisager sa décapitation, il ne me reste que l’insoumission silencieuse. Dorénavant, donc, veuillez noter que sous la narration que vous lirez, se cachera un rire sardonique qui jamais ne tarira. Vous ne le verrez pas, vous ne l’entendrez pas, mais il sera là, comptez sur moi.
Merci, et bonsoir.