Hector et Greta tissent de minuscules paniers de paille qu’ils revendent à des touristes assoiffés de souvenirs authentiques. Personne ici n’a jamais tissé des paniers de paille, mais qu’importe. Les paniers se vendent bien.
HECTOR: Tu veux que je te raconte une histoire?
GRETA: Non.
HECTOR: Excellent. C’est l’histoire de mon voisin. Il a volé une pomme dans le verger Lefebvre. Le vieux Lefebvre l’a vu, il a voulu qu’il paie la pomme, plus une amende, il a refusé, et il a mangé la pomme au nez du bonhomme, qui a tout de suite appelé les flics. Là, les choses se sont envenimées, le voisin leur a dit que c’était absurde de perdre son temps avec un type qui a volé une pomme. Évidemment, les flics ont flairé l’insulte, ils lui ont passé les menottes. Comme le voisin s’est agité – il y a de quoi, quand on vous passe les menottes pour une pomme – il a été accusé de résistance à son arrestation et de voie de fait sur policier. Prison, procès, il en a pris pour un an et demi. En prison, comme il n’acceptait pas, mais alors là, vraiment pas, d’être parmi les criminels pour une malheureuse pomme, il a rouspété, il s’est rebellé, et sa sentence s’est alourdie. Quelques mois de plus ici, quelques mois de plus là, il en était rendu à cinq. Cinq années au frais, loin des siens, pour un méfait ridicule. Question de ne pas aggraver son cas, il a fini par se calmer, et cinq ans plus tard, il est sorti. En revenant chez lui, où sa femme et son chien, toujours vivant, l’attendaient, il est passé devant le verger. Ça été plus fort que lui, il n’a pas pu s’en empêcher, il a volé une pomme. Le vieux Lefebvre l’a vu, encore une fois, mais comme il avait eu une attaque, un an plus tôt, il était paralysé et ne pouvait plus parler. Il n’a pas pu rattraper mon voisin, il n’a pas même pu appeler les flics. Depuis ce temps, tous les jours, mon voisin vole une pomme, impunément, sous le regard furieux du vieux Lefebvre, qui a fini par crever d’une seconde attaque. Bon débarras, a lancé mon voisin, et il a cessé de voler des pommes, parce qu’il n’y voyait plus d’intérêt, maintenant que le vieux n’était plus. Alors, Greta, tu l’aimes mon histoire?
GRETA: Non. J’aurais préféré que tu me racontes une histoire d’amour.