Rouso possède une usine dans chaque pays, une villa sur chaque continent, un Boeing, un Airbus, et une fortune gigantesque. Vu d’en bas, Rouso a tout pour être heureux. Sauf qu’il sue le malheur. Rouso est inconsolable depuis qu’il a réalisé qu’il ne sera jamais l’homme le plus riche au monde. Chaque fois qu’il avance d’un pas, son concurrent en fait trois. Désespérant.
Aussi, quand des Carinolexutianoles débarquent chez lui, c’est l’apothéose. Ces habitants d’une galaxie dont on ne se soucie pas, puisque nous ne l’atteindrons pas de sitôt, proposent un marché à Rouso. Ils veulent lui acheter la terre. En retour, ils lui donneront autant de richesses qu’il en désire. Et même un peu plus.
Le marché est vite conclu, mais Rouso a tout de même un doute. Comment vendre, leur demande-t-il, la terre, puisque je ne la possède pas? On lui fait comprendre que c’est une formalité, une politesse si on veut. On pourrait s’approprier de la chose sans cette transaction, mais les lois carinolexutianoles l’interdisent. Et pour changer ces lois, il faut se lever de bonne heure! La dernière fois, cela a pris trente-deux siècles! Alors, plutôt que de s’attaquer à cette trop lourde bureaucratie, vaut mieux se plier, et respecter les lois, même celles qui semblent désuètes, et avancer.
Rouso n’en demande pas plus. Sa conscience satisfaite, il donne son prix: cent fois la valeur de tout ce que possède son rival. Il n’y croit pas vraiment, faudra marchander, mais partons haut, pour obtenir un bon prix. Sauf que le Carinolexutianole négociateur accepte tout. Sans plus tarder, on signe les papiers, et officiellement, du moins selon la législation de ces étrangers, la terre est vendue. Avec tout ce qu’elle contient.
Maintenant homme le plus riche du monde, Rouso danse du matin au soir.
Mais ça ne dure pas. Dès le lundi suivant, les Carinolexutianoles le mobilisent, comme les milliards d’autres humains, pour travailler dans la production de denrées destinées à l’exportation.
Depuis qu’il mange, dort, travaille avec ses semblables, Rouso évite soigneusement de mentionner sa fortune. Il craint qu’on le prenne pour un illusionné. Vraiment, personne ne le croirait.