Les bureaux de l’Hebdo de Sainte-Antanoisiette-sur-mer sont en effervescence. Les employés, Adrien et Jill, courent dans tous les sens pendant que leur patron-rédacteur en chef LeMauve, hurle, gratte les murs, frappe du pied. Il n’y a pas de nouvelle.
Il ne s’est rien passé à Sainte-Antanoisiette-sur-mer aujourd’hui, rien à rapporter. Sauf que l’heure de tombée approche, le journal a besoin de son contenu. N’importe quoi ferait l’affaire, comme d’habitude. Sauf que là, il n’y a pas même n’importe quoi. Il n’y a rien.
Adrien a bien tenté de produire de la nouvelle. Répondant aux ordres du patron-rédacteur en chef, il est parti, il y a une heure, pour incendier la grange du bonhomme Lecourt, que personne n’aime, et qui n’est pas abonné au journal. Le bonhomme Lecourt l’a accueilli avec son vieux fusil de chasse. Calibre 12.
Alors.
Le patron-rédacteur en chef a dépêché Jill au centre d’activités récréatives du Club de l’âge d’or de Sainte-Antanoisiette-sur-mer pour y glaner quelques rumeurs, ou au pire, d’anciennes nouvelles qu’on aurait omis de rapporter, ou dont on ne se souviendrait plus. La bande de vieux l’a vite trouvée suspecte, et les plus vaillants l’ont chassée à coups de cannes.
LeMauve pâlit. L’anxiété lui noue le regard, il sue à torrent. S’il ne trouve rien, il perdra des commanditaires, et s’il en perd, les propriétaires lui botteront le derrière.
Soudain.
Jill a une idée de génie. Le calme tombe comme une pierre, lourdement, pesamment. LeMauve et Adrien, toute oreilles, s’approchent.
JILL: Voilà, il suffit d’écrire un ou deux articles, une fois n’est pas coutume, à propos de ce qui se passe à Saint-Losionian-sur-dune. À ce qu’on m’a dit, il y a eu un meurtre la nuit dernière, un vol ce matin, et le maire a été hospitalisé cet après-midi pour une foulure à la cheville gauche.
ADRIEN: Quoi! T’es sérieuse? Mais c’est trop fort! C’est trop bon! Il faut écrire ça tout de suite, faire une entrevue, demander des commentaires, des analyses, des suivis! Le maire de Saint-Losionian-sur-dune s’est foulé une cheville! Quand même incroyable!
LEMAUVE: Attention! Ne nous emballons pas! Je vous l’accorde, que le maire de ce village sous-développé, qui fait ombrage au nôtre depuis des générations, se soit foulé une cheville est quelque chose. Mais nos lecteurs ne veulent pas de cette nouvelle. Ils veulent qu’on leur parle de Sainte-Antanoisiette-sur-mer, et de rien d’autre! Ils n’ont rien à faire de ce qui se trame à l’autre bout du monde! Et moi non plus d’ailleurs. Trouvons mieux!
Consternation.
Voyant s’envoler une si belle occasion de remplir des pages, non seulement aujourd’hui, mais pour les jours à venir, les deux journalistes s’effondrent. L’odeur de la fin plane dans l’air déjà nauséabond de leur petit local sans aération.
LeMauve, atterré lui-aussi par ce qu’il vient de dire, s’effondre sur une chaise.
Trente-deux minutes plus tard, Jill boit un verre d’eau. Ça la rafraîchit, ça lui redémarre la cervelle.
JILL: J’ai une autre idée! Locale!
LEMAUVE: Locale? Parfait, tu peux commencer à l’écrire. Au boulot!
JILL: Vous ne voulez pas l’entendre?
LEMAUVE: Si elle est locale, pas nécessaire.
JILL: Adrien?
LEMAUVE: Puisque tu insistes, vas-y. Mais fait vite, il faut produire, produire, produire, produire.
JILL: Le mois prochain, c’est le Festival de la crevette de Sainte-Antanoisiette-sur-mer. Nous pourrions écrire un article qui expliquerait l’origine de ce festival, son importance pour l’économie locale, pour la fierté locale, pour l’avenir local. Nous pouvons écrire des pages et des pages là-dessus, avec entrevues, commentaires et analyses.
LEMAUVE: Jill, tu es gé-ni-a-le! Géniale! Cela nous permettra, comme on dit, de mettre la table, et de bien la mettre! Nous ferons des suivis tous les jours pendant un mois. Et après la fête, nous parlerons de cette édition du festival, avec des dizaines et des dizaines d’entrevues, de commentaires, d’analyses! Notre journal est sauvé pour au moins trois mois! Et si entre-temps il y avait des nouvelles à couvrir, eh bien, nous aviserons!