La commis convulsée des communications fait irruption dans le bureau du maire sans prévenir, comme une furie qui descendrait au paradis.
COMMIS: Monsieur le maire! Monsieur le maire! C’est la crise! Le cataclysme! La catastrophe!
Le maire, assis sur les cuisses du propriétaire des usines A, B et D, lève des yeux mous vers sa commis échevelée par moults convulsions.
MAIRE: Ma chère… Pourquoi ne reviendriez-vous pas la semaine prochaine?
COMMIS: C’est impossible! Ils sont tous là! Tous, je vous dis!
Énervé par cette interruption, le propriétaire des usines A, B et D pousse le maire, qui se retrouve cul sur le parquet, et quitte le bureau en maugréant.
COMMIS: Tous! Tous! Et même plus!
MAIRE: Mais qui, tous?
COMMIS: Eux! Monsieur le maire! Eux!
MAIRE: Calmez-vous, ma chère, joignez-vous à moi, sur le parquet. Il est frais. on y est mieux qu’il ne semble.
La commis convulsée aux communications relève sa jupe, et s’assied par terre, avec une ridicule maladresse.
MAIRE: Reprenons. Tous, qui sont eux, sont là. En définitive, si ce sont eux, ils ne sont pas tous là.
COMMIS: Pas encore! Pas encore! Mais ils sentent le malheur comme les mouches les cadavres!
MAIRE: Ils ont du flair.
COMMIS: Un odorat d’urubu.
MAIRE: De ouistiti.
COMMIS: De tortues à carapace molle de Chine.
MAIRE: D’éléphants.
COMMIS: De dactylères du cap.
MAIRE: De vaches. Vous vous y connaissez, chère commis.
COMMIS: Un petit tiroir de souvenirs inutiles parmi d’autres.
MAIRE: Alors, eux, vos urubus, que veulent-ils?
COMMIS: Ils veulent tout savoir! Pourquoi! Comment! Quand! Où! Et même quoi!
MAIRE: Même quoi! Mais pourquoi?
COMMIS: Pour colporter. Pour faire du fric en colportant.
MAIRE: Laissez-moi deviner. Ce sont des jour-na-lis-tes! Journalistes! Journana! Journana! Listes!
COMMIS: Voilà! D’où l’urgence.
MAIRE: Pourtant, il n’y a pas eu d’ouragan, pas d’inondation depuis des mois, pas de tornade, pas de tremblement de terre, pas de virus, rien.
COMMIS: La catastrophe n’a pas encore été identifiée, mais les effets sont bien réels. Effets catastrophiques, pour tout dire.
MAIRE: Mais dites tout!
COMMIS: Ce matin, on a dénombré cent cinquante-deux personnes à la rue, quarante-neuf enfants qui n’ont pas mangé à leur faim, deux cent quatorze qui n’ont rien à se mettre sur le dos, soixante-deux qui n’ont plus leurs médicaments, ça n’en finit plus!
MAIRE: Mais la cause! Quelle est la cause?
COMMIS: Nous ne le savons pas, mais les journalistes commencent à accuser la mairie!
MAIRE: Nous accuser! Comme si nous faisions des typhons!
COMMIS: Ce typhon-là, peut-être.
MAIRE: Il faut parler aux journalistes! Leur dire que le tord est ailleurs. Ailleurs!
COMMIS: Voilà. Allons-y!
MAIRE: Ils sont nombreux?
COMMIS: Vous pensez bien, quarante-neuf enfants qui n’ont pas mangé à leur faim, ils sont tous là. Ouvrez votre ordinateur, consultez votre téléphone, allumez votre téléviseur. Ils diffusent tous en continu depuis une heure dix-sept minutes!
MAIRE: Appelez le Point Rouge, suggérez-leur de distribuer des gâteaux, des biscuits, n’importe quoi. Appelez mon coiffeur! Mon tailleur! Mon masseur! Mon rédacteur! Je veux être prêt! Tout fin. Tout fin prêt!
COMMIS: Monsieur le Maire, je crains que l’urgence ne soit urgente. Apparaissez au naturel, on ne vous en aimera que davantage.
MAIRE: D’accord, allons-y! Vous m’expliquerez tout ça en chemin.
COMMIS: Quoi donc?
MAIRE: Mon naturel, ma chère. Où avez-vous la tête? Ces événements vous bouleversent. Remarquez, je vous comprends. Je vous comprends. Allons-y!