Contrer l’absurdité

MARI: Ma chère, j’ai enfin pris une résolution, je vais dès cet après-midi entrer dans le grand cercle des créateurs, des hommes qui ont transformé leur vie et le monde autour d’eux, j’utiliserai le temps pour sortir du néant, je transcenderai l’absurdité du quotidien et je me distinguerai parmi tous les hommes qui végètent dans un aveuglement paresseux, tous ceux qui se résignent à ne pas vivre pour nourrir les ambitions des puissants, ces êtres qui se contentent de paroles vides, de gestes vides, qui ne pensent plus qu’avec les mots qu’on leur impose, esclaves de leur foi paralysante qui coule dans leurs veines comme un curare sans cesse renouvelé, un curare qui leur fait oublier que rien n’est éternel, qu’ils ne seront jamais éternels, ni avant, ni après leur mort, parce que quand tout sera terminé, ce sera la fin pour eux, une véritable fin, trop tard pour manger du chocolat, trop tard pour refuser d’obéir aux ordres, trop tard pour s’amuser et libérer sa nature qui ne demande qu’à exploser, qu’à éclater au grand jour dans un désordre fantastique, pauvres hères, pauvres marionnettes à têtes de porcelaine, c’est pour fuir vos rangs, pour rompre définitivement avec votre défaitisme et, surtout, votre marche rythmée qui vous conduit droit au précipice, que je me lève aujourd’hui et que j’annonce, à toi, mais aussi à toute la ville, à tout le pays, si toute la ville et tout le pays daignaient de m’écouter, que je m’apprête à construire un abri de jardin!

FEMME: Chéri, tu as déjà construit trois abris de jardin.

MARI: Ma chère, ouvre ton esprit! Je sais que ce n’est pas facile, mais avec un peu d’efforts, tu arriveras à t’extirper du non-sens ambiant!

FEMME: C’est que notre jardin est petit. Depuis la construction de ton dernier abri, nous n’avons plus assez d’espace pour notre table de jardin. Je crains qu’avec un abri de plus, il n’y ait plus d’espace pour nos deux chaises.

MARI: Oublie les abris antérieurs! Pense à l’avenir, ma chère! Il est question ici d’un schisme avec la bêtise moderne!

FEMME: Nous pourrions prendre l’argent pour partir en vacances. Ce n’est pas bête, ça, partir en vacances.

MARI: Je n’y peux rien, ma chère! Le torrent de la liberté nous emporte, laissons-nous guider! Ouvrons les yeux, et vivons!

FEMME: Un quatrième abri de jardin! Et le cinquième, tu le mettras où?

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