Vous dormez, Jasmin?

Vous dormez Jasmin?

ELENA: Jasmin, ne me dites pas que vous en êtes encore là, à tuer des cochons pour un peu d’argent!

JASMIN: Je tourne en rond, c’est vrai. Un jour, ils m’arrêteront, ils me tueront à mon tour.

ELENA: Pourtant, pendant un temps, j’ai cru que vous viviez pour de bon.

JASMIN: Oui, c’est vrai. Comme nous tous, pas vrai? Nous vivons un certain temps, puis le temps passe. Vous aussi, d’ailleurs.

ELENA: Oh moi, je vis encore. Vous ne le voyez plus, hélas, mais je vis et je vis tellement que je m’en réjouis tous les matins, tous les soirs. Pour moi, ça n’a jamais cessé, malgré tout ce que vous savez, les fins et les débuts, et tout.

JASMIN: Je suis lâche. Ça m’a toujours paru trop difficile, je crois. Vous savez, parfois je me dis que j’aurais aimé vous aimer. Je sais que ça n’aurait rien changé, que j’aurais perdu pied, puisque c’est dans ma nature, puisque ma nature est lourde à ce point qu’on peine à la porter.

ELENA: Quand je vous ai connu, vous reveniez de cette ville où vous avez séjourné pendant quoi, quelques mois, quelques années?

JASMIN: J’ai parfois l’impression que ça n’a duré qu’un instant. Du début à la fin, tout s’écrase. Je ne crois pas que j’aimerais reconstituer, me souvenir de tout, jusqu’au moindre détail. Imaginez!

ELENA: Ah ah ah! La fiction est préférable, Jasmin!

JASMIN: La réalité, c’est le meurtre. Ma réalité. C’est quand même triste que cela vous tienne loin de moi.

ELENA: Vous êtes un homme dangereux, Jasmin. Comment s’appelait-elle, celle de cette ville là-bas, celle dont vous m’avez parlé une fois, une seule fois?

JASMIN: Selma. Son nom est Selma. Je ne le prononce plus que très rarement.

ELENA: Votre roman.

JASMIN: Je craindrais de l’écrire.

ELENA: J’aimerais savoir à quoi ressemble cette histoire qui est en vous, même si vous en gardez si peu.

JASMIN: C’est si court, quand je ferme les yeux, tout surgit en un éclair. Mais si je vous le racontais, ça me prendrait des mots et des mots.

ELENA: Fermez vos yeux. Salma. Il y a Salma.

JASMIN: Selma n’est pas d’ici, elle porte des vêtements qui sur son corps agile ne ressemblent à rien de ce qui couvre les femmes, de ce qui couvre les hommes, et parfois quand elle ne bouge pas, quand elle s’assied sur un banc pour rire avec les oiseaux, on dirait qu’elle vit là depuis toujours, que son coeur bat depuis des millénaires, il y a dans ses yeux des horizons qui se renouvellent, elle tend les bras aux passants, sa voix charme quand elle chante, quand elle coule sur les notes de sa guitare, Selma ne doute de rien, elle ne condamne pas les vaincus, vous la suivez dans la danse, vous marchez avec elle comme deux êtres sortis droits d’un conte nouveau et toutes les façades grises fleurissent, la pluie sculpte des rêves et vous rêvez de ne jamais quitter ces rues, elle prépare des tisanes qui parfument à jamais votre maison, et tous les soirs elle rit, elle invite toute la rue et les festins tapissent de joie les parois de votre présence, elle vous tient la main pour entrer chez des shamans insolites, par ses yeux vous découvrez de nouvelles couleurs, elle vous étourdit de beauté jusqu’à ce que s’évanouissent la dureté des visages, et quand enfin vous vous approchez de son âme, l’ampleur de votre enchantement vous pousse en arrière, vous basculez dans les ronces et ses yeux disparaissent, vous vous écrasez pendant qu’elle pleure, vous ne savez plus nager, vous ne savez plus marcher, votre seconde de vertige vous perd à jamais et vous…

ELENA: Jasmin? Je ne vous entends plus. Vous dormez Jasmin?

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