Entendu à minuit trente-deux à la radio de S., petite ville du nord où vivent encore quarante mille deux cent quarante-trois S…ais.
ANIMATEUR: Accueillons maintenant l’auteur à succès, Popaul Paul, qui a publié trois romans, Anita, Benita, et la semaine dernière, Célinda. Monsieur Paul, comment vit-on avec le succès? Comment l’inspiration vous vient-elle encore avec cette pression de la renommée?
POPAUL: N’exagérons pas, n’extrapolons pas. Avec cinq ventes pour le premier livre, neuf pour le deuxième, mon succès vagabonde placidement.
ANIMATEUR: Comme c’est bien dit! En tous cas, monsieur Paul, nous sommes fiers à S.! Très fiers.
POPAUL: Ah bon?
ANIMATEUR: Car vous êtes bien de S., n’est-ce pas?
POPAUL: De S.?
ANIMATEUR: C’est un secret de Polichinelle ici, votre nom, Popaul Paul, c’est un pseudonyme, non? Allez! Avouez-le!
POPAUL: C’est le nom que j’ai choisi, un nom officiel, j’ai le sceau du registraire, les papiers de l’état civil, la reconnaissance de la magistrature.
ANIMATEUR: Voilà! Vous avouez! Vous avez choisi ce nom! On sent l’humour de l’écrivain, la profonde dérision de l’homme d’esprit. Car enfin, ne nous le cachons pas, Popaul Paul, c’est un brin ridicule, non?
POPAUL: Nommez un nom qui ne le soit pas! Yves Vava, Michel Coricoco, Claude Joujou, tous les noms sont ridicules, si on s’y arrête! Et quand tous le sont, plus aucun ne l’est.
ANIMATEUR: Votre véritable nom, celui que vos bien-aimés parents vous ont attribué, ne l’est pas, ridicule. Car sachez-le, mes chères auditrices, mon cher auditeur, en vérité Popaul Paul s’appelle Paul Popaul! Oui, le chat sort du sac de Dila, Lenzo et Vincent.
POPAUL: Qui sont ces gens?
ANIMATEUR: Des garnements qui avaient fourré un chat dans un sac, vous vous rendez compte, monsieur Popaul.
POPAUL: Appelez-moi Paul, monsieur Paul. C’est mon nouveau, mon seul vrai nom.
ANIMATEUR: Je comprends. Mais enfin, on ne choisit pas où nous naissons. On ne choisit pas ses parents. Il n’y a pas de honte à être le fils d’un industriel. Pas de honte du tout.
POPAUL: Je ne vous le souhaite pas.
ANIMATEUR: Ça ne risque pas d’arriver. Mais, monsieur Paul, puisque monsieur Popaul veut qu’on l’appelle monsieur Paul, dites-nous, et sur cela j’ai reçu beaucoup de commentaires de nos auditrices et de notre auditeur, pourquoi, dans vos romans, peignez-vous notre ville avec un filtre si vilain? À vous lire, on croirait que tout ici est gris. Gris de chez gris. L’ennui absolu, quoi, comme si on s’emmerdait à S.!
POPAUL: Vous êtes d’ici?
ANIMATEUR: C’est mon orgueil. Je baigne dans les merveilles locales!
POPAUL: Vous piquez ma curiosité.
ANIMATEUR: Comment dire, il y a tout ce qu’on ne voit pas.
POPAUL: Je me disais aussi.
ANIMATEUR: Tout n’est pas gris!
POPAUL: Votre chemise, elle est bien grise?
ANIMATEUR: Un hasard.
POPAUL: Et votre veste?
ANIMATEUR: C’est un ensemble.
POPAUL: Comme le pantalon, les chaussettes, les chaussures, le bracelet de votre montre.
ANIMATEUR: Voilà.
POPAUL: Et votre caleçon? Montrez-moi votre caleçon.
ANIMATEUR: Monsieur Popaul! Euh, Paul… monsieur Paul qui êtes Popaul!
POPAUL: Déshabillez-vous donc, ne faites pas tant de manières! Si vous n’y voyez pas d’inconvénient, je le mettrai dans mon prochain livre, votre caleçon!
ANIMATEUR: Vous feriez cela, vraiment?
POPAUL: Ça dépend du caleçon. Il pourrait aussi finir dans une nouvelle, très courte, gratuite.
ANIMATEUR: Tout de même. Que mon caleçon entre dans le temple sacré de la Littérature, ça me chahute les émotions!
POPAUL: Voilà, baissez-moi ce froc. Comme ça, c’est bien.
ANIMATEUR: C’est la première fois que…
POPAUL: Un caleçon gris. Je m’attendais à du blanc, du noir, au mieux du rose, mais du gris! Vous le faites exprès!
ANIMATEUR: Mes chers auditeurs…
POPAUL: Rhabillez-vous, mon pauvre, et parlons littérature, si vous le voulez bien.