Ça fait vingt-trois ans que je prends ce bus, et ça, aujourd’hui! J’en suis encore bouleversé. Pourtant, tout s’annonçait comme une journée ordinaire, tranquille, une journée comme je les aime, sans histoire. Je suis monté dans le bus, je me suis assis, j’ai regardé défiler les immeubles par la fenêtre. Comme d’habitude.
Sauf que là!
Le bus s’est arrêté, soudainement. J’ai cru à un accident, peut-être avions-nous renversé un piéton, un cycliste, un chat. Eh bien non. Le chauffeur a appliqué les freins pour laisser monter une inconnue, une femme qui n’a jamais pris ce bus, à cette heure-là. Jamais, depuis vingt-trois ans.
À partir de là, ça a été la débandade. La révolution. L’inconnue m’a posé une question. Trop surpris, je n’ai rien compris, j’ai répondu n’importe quoi, l’heure et la date je crois. Elle a souri, m’a recommandé de ne pas être en retard le soir même, m’a glissé une carte, une adresse.
Comment ne pas m’y rendre! Il y avait là toute sa famille, un maire, un député, des gens sombres et d’autres gais. Ils nous ont mariés avant minuit, et cette nuit, je ne me suis pas endormi dans mon lit, pour la première fois. Je n’y comprends rien, et surtout, j’ignore comment reprendre ma vie d’hier.
Et je n’ai pas très bien saisi le prénom de l’inconnue. Faudra lui redemander au petit matin, et l’inscrire dans mon carnet, pour que je m’en souvienne. Quand je raconterai ça aux collègues, ils n’en croiront pas leurs oreilles!