Cette année-là, l’hiver avait été rude, l’hiver avait été long. C’était il y a très longtemps, dans un siècle sans automobile, sans chaussures en caoutchouc avec intérieur en feutre et même, sans iPhone.
BEN: J’en ai une bonne à te conter! Tu n’en croiras pas tes oreilles! Imagine-toi que j’ai une petite douleur aux jambes, et Lemay, le supposé médecin, veut me les couper! Slac! Les deux!
RON: Des jambes, c’est pourtant pratique. Qu’est-ce qu’elles ont, tes jambes?
BEN: Un peu de gangrène, c’est tout. Rien de plus, je t’assure! Mais Lemay, on le sait, il n’en manque pas une pour nous raccourcir, du haut ou du bas. Tu te souviens, il a coupé le bras de la p’tite Levasseur, il y a deux ans!
RON: Des bras, c’est pourtant pratique, surtout ici, où nous travaillons de nos bras. Pourquoi Lemay voudrait couper, comme ça, à gauche et à droite?
BEN: Que t’es naïf! Lemay, il est né à B, il a grandi à B, il a son bureau à B. Or, on sait que ceux de B détestent ceux de G, nous. Chaque fois qu’il en a l’occasion, Lemay coupe. Cette fois, ce sont mes jambes, demain, ce sera ta tête!
RON: Une tête, c’est pourtant pratique, même si on ne s’en sert pas souvent. Que vas-tu faire, alors?
BEN: J’ai consulté des gens qui s’y connaissent vraiment. Voilà tout. Ted, au Bar des Copains, m’a mis en contact avec Pat, qui en sait plus long que les médecins. Eh bien Pat m’a dit que je n’avais pas à couper ma jambe, oh que non! Il m’a préparé un remède, dont la recette est secrète. Je crois que c’est à base d’apocyn. C’est très cher, mais c’est efficace. Pat, c’est pas n’importe qui, on peut lui faire confiance. C’est un scientifique naturel, il a acquis ses connaissances par la vraie expérience. Pas dans des écoles où on bourre le crâne des p’tits prétentieux!
RON: M’a l’air d’un type bien, Pat. Mais l’apocyn, c’est pas un poison?
BEN: Tu penses que Pat me donnerait du poison! On voit que tu n’y connais rien! Pauvre tête de linotte.
RON: J’espère vraiment qu’ils ne me la couperont pas, quand même. Tu m’en prêteras, de ton remède à l’apocyn?