Z: Tu te souviens de P?
V: P? Non, je ne vois pas. À moins que… C’était pas ton beau-frère?
Z: C’était ton collègue! Tu as travaillé vingt ans avec lui, il est mort il y a cinq ans. Il occupait le bureau d’à côté, directeur de l’ingénierie informatique, mais tu le voyais tous les jours. Vous avez même fait du vélo ensemble, trois ou quatre fois.
V: Peut-être. Tu as une photo?
Z: Voilà, tu le reconnais maintenant? Cette photo a été prise deux mois avant sa mort.
V: Ah oui, je crois me rappeler. C’est pas lui qui vient d’une famille de cultivateurs.
Z: Non, ça, c’était G.
V: Qu’importe. Pourquoi tu me parles de ce P, mort il y a cinq ans?
Z: Je connais bien sa sœur, Y, et c’est sans doute pourquoi je me souviens si bien de P, eh bien, imagine toi qu’elle a mis la main, récemment, sur son journal personnel. Tout de suite après son divorce, un an avant sa mort, P a vécu pendant deux mois chez elle. Sa chambre était dans le sous-sol. Il avait caché son journal dans le faux plafond, et j’imagine qu’il l’y a oublié lorsqu’il est parti, il a dû penser qu’il l’avait perdu. Dans ce journal, tu sais ce que P raconte? Il y revient plusieurs fois, c’est ça qui est marrant, enfin, pas vraiment, c’est plutôt pathétique. Il raconte qu’il rêvait de quitter son boulot pour se consacrer à sa passion, la reproduction en miniature de monuments historiques. Il les aurait vendus, pour faire quelques sous, mais il savait qu’il ne pourrait jamais en vivre. Construire chacun des monuments prendrait trop de temps, beaucoup trop de temps, pour que ça soit rentable. Mais il était prêt à vivre pauvrement, louer un petit appartement, vendre sa voiture, bref, reprendre une sorte de vie d’étudiant, mais pour de bon. Il n’a jamais osé, essentiellement parce qu’il ne voulait pas laisser de lui l’image d’un type dérangé, complètement déconnecté du monde, de ce qui compte.
V: Pauvre con. Il croyait vraiment que les gens se souviendraient de lui?