MONICA: Quand j’ai vu le camion débouler sur le boulevard, j’ai bondi en arrière pour ne pas être aplatie sous les roues. C’est là que ma vie a changé.
JANICA: À cause des autres piétons?
MONICA: Évidemment, mais pas que ça.
JANICA: Je me disais bien.
MONICA: En me reculant j’ai marché sur le pied d’une femme à peu près de mon âge air épuisée contrariée je veux dire un état de contrariété permanent quelque chose précédent l’instant tu vois je me suis excusée ses cheveux lui voilaient le visage je ne voyais que les lèvres une bande rouge crispée dure du fer chauffé à bloc j’ai eu peur tu sais peur comme si se dressait devant moi un humanoïde ou peut-être un extra-terrestre comment savoir je n’ai jamais eu la chance de jamais vu ni l’un ni et puis cette femme-là avec ses lèvres dures une vampire peut-être ma petite imagination un peu folle toujours moi ça ça ne change pas tu peux bien rire après la frousse a bien fallu m’excuser pour le pied elle n’a pas bronché rien en elle n’a bronché surtout pas les lèvres de glace ou devrais-je dire de marbre car il faisait plutôt chaud jour d’été ah ah ah le camion était loin maintenant les gens traversaient la rue elle est partie sans un mot sans un regard avait-elle des yeux je ne les ai pas vus c’est vrai qu’elle était grande je n’osais pas j’avoue la dévisager gêne crainte je m’embrouillais je veux dire dans ma cervelle j’imagine que ça se voyait car l’homme oui oui tout est là il y avait un homme derrière elle un inconnu complètement quelqu’un qui était là inconnu de moi d’elle il m’a vue m’a regardée j’allais reprendre mon chemin un peu secouée le camion n’avait pas ralenti pas klaxonné un forcené le feu était rouge il aurait pu nous mais il ne s’est rien passé c’était un de ces camions qui transportent des déchets liquides de larges tuyaux souples un siphon que sais-je je me suis secouée merde j’aurais pu y passer ce n’est pas madame lèvres d’acier qui m’aurait enfin j’étais vivante je le suis encore alors quand il m’a demandé si ça allait j’ai sursauté comment répondre je lui ai dit moi c’est Monica je me disais cette question c’est parce que oui quelque chose sur moi criait au monde faut croire puisque même un inconnu ça criait ou indiquait que ça n’allait pas je n’y pensais pas je me débattais encore dans ce tourbillon le camion l’aplatissement la mort la fin je ne reverrais pas mes parents mon frère toi tous il a souri m’a invité pas un café mais un kombucha pourquoi c’est toujours un café une bière un martini je l’ai regardé enfin je veux dire pour la première fois vraiment j’avais un rendez-vous à l’université mais soudain je n’en avais plus suffit de le décider un kom quoi ses premiers mots n’arrivaient pas à se frayer un chemin jusqu’à ma mais avant de comprendre je l’ai suivi il y avait ce petit comptoir près de la rivière nous avons parlé du camion des camions son frère ou son cousin ou son ami en conduisait un il y a tant de camions j’écoutais sa voix et les enchaînements de mots de phrases ça n’avait pas d’importance je me calmais et même plus il a cru remarquer que le chauffeur du camion parlait au téléphone un main libre selon lui parlait ou plutôt hurlait ou peut-être engueulait ou peut-être dénonçait comment savoir a raté le feu rouge sans le voir n’a pas réalisé qu’il aurait pu peut-être une querelle de couple on pense à ça souvent quand on voit de ces ou encore son patron ou sa banque des soucis de gros soucis il essayait de comprendre il a fini par me toucher la main je l’ai laissé faire je crois que nous avons rit oui sûrement quelques rires malgré les soucis du camionneur et ça allait de soi qu’il y aurait un rendez-vous c’était le lendemain ou plus tard mais pas trop j’aurais voulu t’en parler avant mais j’étais sonnée quand je l’ai revu je lui ai dit tout ça à cause des soucis d’un camionneur nous avons dansé sur la plage depuis je le vois presque tous les jours alors que je n’ai pas vraiment le temps pour ça en ce moment avec tout ce qui s’en vient.
JANICA: On trouve toujours le temps. On perd beaucoup trop de temps à n’avoir pas de temps. Les bonnes choses demandent du temps.
MONICA: Et autres banalités.