JOELLE: Mais tu n’as rien compris, Marcia, tu es malheureuse, voilà ce qui est.
MARCIA: Moi? Malheureuse? Ce n’est pas possible.
JOELLE: Abandons multiples, faillites multiples, crevaisons multiples, cambriolages multiples, humiliations multiples. C’est pourtant simple!
MARCIA: Non. Je ne vois pas. Regarde cette photo. Je l’ai prise le mois dernier. Je ne sais plus trop où. Ces pigeons, ne sont-ils pas charmants? Regarde celui-là, qui bombe le torse, vert sombre, mauve, gris, il a paradé comme ça pendant, oh je ne sais plus, mais si longtemps! Puis des gens sont arrivés, beaucoup de gens, ils couraient dans tous les sens, ils voulaient photographier, filmer, enregistrer, capturer sur le vif ce qui pouvait en rester, de vif, même s’il n’y en avait, franchement comment s’étonner avec tout le boucan qu’ils faisaient, plus beaucoup et même, pratiquement plus, si bien que je suis partie, j’ai fait quelques pas pour me retrouver à l’écart, dans un nouvel îlot, de nouveaux pigeons, j’ai partagé mon dîner sans regarder l’heure, sans me soucier des rayons du soleil qui me frappaient de plus en plus en plein visage, tu sais, quand tu dois baisser les yeux tellement, quand tu dois pivoter légèrement pour ne plus être, tu sais, mais sans pour autant ne plus voir, car oui, voir encore, sans se soucier des bouleversements inutiles, plongée dans un instant immobile, oui, immobile comme on peut l’être, car je ne suis pas idiote, rien, oui oui, rien, du mouvement partout, sauf qu’il y a la vitesse, la vitesse, ça change tout, tout, tout, tout.
JOELLE: Peu importe. Tu es malheureuse et tu aurais intérêt à le savoir.
MARCIA: Merci, merci. Mais je ne vois pas, je ne vois vraiment pas.