MOMO: Vous avez quoi, soixante ans?
ZOZO: Cinquante-neuf. J’ai cinquante-neuf ans.
MOMO: Soit. Vous aurez soixante ans l’an prochain. Ne soyons pas si pointilleux. La question que je dois vous poser, celle que la firme qui m’embauche pour faire cela, car je n’ai rien trouvé de mieux puisque personne voyez-vous ne veux me payer pour mes réelles compétences acquises à l’école de commerce et dans la vraie vie véritable, m’a chargé, comme une mission que je pourrais aussi voir comme une aventure avec rebondissements échecs et succès, de mettre sous le nez de personnes comme vous, ni vieilles, bien entendu, parce qu’à soixante ans de nos jours ce n’est pas la, oui oui, cinquante-neuf ans, soyons précis, à cet âge prisable, comme disait mon grand-père qui était vraiment très vieux lui avant de ne plus être et il n’est plus depuis longtemps, on a encore de bien belles choses devant soi, mais quelque peu édulcorées, diluées si on veut pour qu’elles se digèrent mieux, que ce soit par l’estomac, l’esprit ou l’estime, de soi et des autres, je vous la pose, la question, c’est de la question dont il est question, sans plus tarder: quel est votre souvenir le plus clair, le plus précis, parmi tous vos souvenirs? Racontez, et vous pourriez gagner un voyage tous frais payés à Miami.
ZOZO: J’en ai des milliers de souvenirs, quand j’étais gamin, quand j’étais à l’université, quand j’ai obtenu mon premier emploi, quand j’ai épousé Zaza, vraiment, des milliers, je ne comprends peut-être pas très bien votre question, je pourrais raconter jusqu’à demain matin.
MOMO: Choisissez. Un seul.
ZOZO: Mon mariage, ça je m’en souviens! Il y avait une bonne centaine d’invités, nous avons dansé toute la nuit, il y avait la famille de Zaza, ma famille, bien évidemment, et nos amis.
MOMO: Combien d’invités?
ZOZO: Je vous l’ai dit, une centaine!
MOMO: C’est vague, une centaine. Quel est le nombre exact? Vous vous en souvenez, ou pas?
ZOZO: Je dirais cent un, oui, c’est probablement cent un.
MOMO: Et les invités, ils étaient joyeux?
ZOZO: Ah ça! Oui!
MOMO: Même Lono? N’avait-il pas enterré son père la semaine précédente, appris que sa femme demandait le divorce deux jours auparavant, et perdu son emploi le matin même?
ZOZO: Hum. Maintenant que vous me le rappelez. Oui, c’est bien ça, j’avais oublié. Il n’est pas resté bien tard, Lono.
MOMO: Avez-vous oublié le temps qu’il faisait? De quoi tout le monde parlait? Pourquoi le père de Zaza s’est éclipsé deux fois? Lequel de vos invités était le beau-frère du frère du premier ministre? Avez-vous oublié quelles fleurs composaient le bouquet de Zaza? Quels vins ont été servis? Qui s’est enivré? Vous n’avez certainement pas oublié que la cousine de Zaza a passé la soirée assise à parler au téléphone? Si? Vous avez oublié? Comme votre ami Boto, qui n’a rien voulu manger? Comme le traiteur, qui a manqué de bœuf? Comme votre mère qui s’est plainte d’abord parce qu’il faisait trop froid, puis parce qu’il faisait trop chaud, puis parce que la musique était trop forte? Bien sûr, ça aussi vous l’aviez oublié.
ZOZO: À vrai dire, je…
MOMO: Au suivant! Décidément, personne ne le remportera, ce voyage à Miami! Personne! Et d’abord, qui voudrait aller à Miami!