Elle m’a transformé en cendrier, mais comme plus personne ne fume, on a tendance à me délaisser, on pourrait bien me faire disparaître, je pourrais finir au dépotoir, enseveli sous des tonnes de saletés humaines.
Pourtant.
J’avais insisté pour qu’elle fasse de moi une peluche, un édredon, à la limite un sac de couchage. Sachant ce qu’elle pouvait, connaissant sa manie de tout transformer, voisins, amis, amants, je voyais que mon tour approchait.
Fuir, j’aurais pu, mais je crois qu’elle, jamais on ne la quitte.
Aujourd’hui, son père, que j’aurai presque détesté tant il me détestait, son père qui se moquait de ma bagnole, de mon boulot, d’une chanson que j’aimais chanter, ce père lui a rendu visite. J’ai appris à l’aimer, ou plutôt, à aimer sa présence, à l’espérer, à me réjouir lorsque j’entends sa voix au bout du corridor et que je reconnais son pas triomphant, entrant partout en conquérant, en homme qui vous apprendra tout. Moi qui avais pris l’habitude de me taire lorsqu’il surgissait, toujours par surprise, moi qui me trouvait souvent un rendez-vous urgent, une course importante, moi qui m’évadait à son approche, je me prends maintenant à lui vouloir plus de bien qu’à n’importe quel autre humain, hormis elle. Je me prends même à espérer qu’il ne meure jamais, mais je suis lucide, je le vois dépérir, je vois bien que sa santé périclite par grands bonds, qu’il finira par mourir bien avant mon amour pour sa fille, mon amour pour elle. Je prie tous les jours pour qu’il vive, cet être infect, méprisable, nauséeux. Je prie pour lui parce que lui seul fume, il est le dernier. Après lui, il n’y aura plus de cigarette dans cette maison et je mourrai avec lui.