Mon voisin, un être heureux, mais monstrueux

Je vais vous dire ce que mon voisin a fait. Vraiment. Mais pour éviter qu’il n’intente un procès en diffamation contre moi, et même pire, oh j’en tremble, je lui attribuerai un autre nom. Évidemment, je préciserai qu’il s’agit d’une fiction, une courte nouvelle, donc pas de problème, je suis protégé, inattaquable.

Donc, le titre sera: Mon voisin, un être heureux, mais monstrueux. C’est tout à fait lui. Regardez-le, en ce moment. Assis dans son transat, une bière à la main, qui rit aux éclats. Il y a sa copine, mais ce n’est pas avec elle qu’il rigole, c’est avec une personne au téléphone. Mon voisin connaît beaucoup de monde, partout. Il a des amis en haut lieu, ce qui lui permet d’éviter la justice. Car mon voisin, Rodrigue, vole et assassine. Oui mesdames, oui messieurs. Je ne sais plus combien de cadavres j’ai vu sortir de sa maison, la nuit. Jamais osé prendre des photos, par crainte de finir cadavre moi aussi. Pas question non plus de le dénoncer ouvertement, ça se retournerait contre moi. J’ignore qui il assassine, et pourquoi. Des femmes? Des hommes? Les deux? Et pourquoi le faire dans sa maison, avec un voisin comme moi qui peut très bien le surveiller, se rendre compte, qui pourrait le dénoncer sur la place publique ? S’il n’avait pas si peur. Mais il a la frousse, le voisin. Oui, j’en tremble. J’ai songé à déménager, mais ça attirerait les soupçons, et on me retrouverait. Il a le bras long, et brutal. Je suis fait, je suis cuit, condamné à l’observer dépouiller ses victimes, et à les rejeter dans je ne sais quelle fosse. Les gens entrent chez lui, j’ignore comment il les attire. Ils roulent tous dans de belles bagnoles qui valent dix fois le prix de la mienne, et au petit matin, leur cadavre est déjà loin, et la bagnole a disparu. J’imagine qu’il trouve aussi le moyen de puiser dans leurs comptes en banque. Rodrigue est né à New York, a grandi à Paris, et il vit ici depuis dix ans, trois mois, deux semaines. Chaque fois qu’il me voit tondre le gazon, il agite la main, me parle de voisin à voisin, avec un air détaché qui me scie. Je lui rends son salut, je hoche la tête, mais j’arrive rarement à articuler le moindre mot. Parfois une onomatopée, la plupart du temps quelques sons indistincts, animaux. Avant l’arrivée de Rodrigue, je commençais à m’enrichir. Ça a continué encore quelques années, jusqu’à ce que je découvre son manège. Alors, on s’en doute, j’ai arrêté sec, cessé toute activité enrichissante, j’ai même réduit progressivement ma fortune. Pas question d’attirer son attention et sa convoitise, pas question de me valoir une invitation chez lui. Ma femme ne partageait pas ma prudence, et notre relation a commencé à toussoter. Elle est partie avec la moitié de ce qui me restait de fortune, et les enfants. Au juge, elle a déclaré que j’étais fou. Et le juge, qui n’était pas une juge, l’a crue, et j’ai eu tous les torts. Je n’ai pas rouspété, oh non, parce que ça m’arrangeait. Cette réduction brutale de fortune me rendait encore moins intéressant pour mon voisin Rodrigue, ça me donnait une sécurité supplémentaire. Depuis que je vis seul, je m’appauvris d’année en année, et mon toit coule. Quand la maison tombera en ruine, quand tout s’écroulera, quand je serai ruiné, alors on me chassera. Bureaucratiquement. Je protesterai, je crierai que je veux rester, je m’arracherai les cheveux. Rodrigue comprendra que je ne pars pas de mon gré, que je ne représente pas une menace pour lui. Alors, alors enfin, je pourrai aller couler des jours paisibles à l’autre bout du monde.

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