Deux jeunes femmes, colocataires dans un appartement du centre-ville. Vendredi soir, vingt et une heures trente. Patricia entrebâille la porte de la chambre d’Éléonore.
PATRICIA: Éléonore?
ÉLÉONORE: …
PATRICIA: Éléonore?
ÉLÉONORE: Quoi?
PATRICIA: J’ai envie de danser. D’aller en boîte. Tu m’accompagnes? Pas le goût d’y aller seule.
ÉLÉONORE: Je ne peux pas, je dois faire de la littérature.
PATRICIA: Pas grave, je dois faire du ménage. Dans ma chambre. On termine nos trucs, et on ira après?
ÉLÉONORE: D’accord.
Dans sa chambre, Patricia range les vêtements éparpillés sur sa commode, met de l’ordre dans ses cosmétiques, époussette, même la poussière imaginaire. Patricia adore épousseter. Et passer l’aspi, même s’il n’y a rien à aspirer. Tout cela, sans se presser, lui prend un peu plus d’une heure. Retour devant la porte entrebâillée de la chambre d’Éléonore.
PATRICIA: J’ai terminé mon ménage.
ÉLÉONORE: J’en ai pas fini, avec ma littérature.
PATRICIA: T’as besoin d’aide? Je peux te refiler un coup de main.
ÉLÉONORE: Pourquoi pas. Alors voilà. Il tombe amoureux d’une fille, mais elle lui préfère son hérisson. Il insiste, elle lui tourne le dos, il colle, elle lui botte le derrière, il revient à la charge, et là, je ne sais pas trop ce qu’elle fait.
PATRICIA: Elle va chercher son hérisson, elle le place entre eux deux.
ÉLÉONORE: J’hésite. Je n’aime pas me servir des animaux pour mes expériences.
PATRICIA: C’est un hérisson complaisant.
ÉLÉONORE: Tu crois?
PATRICIA: Tu n’auras qu’à lui inventer une sortie de crise joyeuse.
ÉLÉONORE: Évidemment. Donc, le type se pique sur le hérisson, il hurle de douleur, il s’enfuit en la traitant de folle, de maniaque.
PATRICIA: D’écervelée.
ÉLÉONORE: Elle remercie son hérisson, en lui caressant la tête.
PATRICIA: As-tu pensé ajouter un passage un peu compliqué, quelque chose qui donnera de la profondeur?
ÉLÉONORE: Un peu d’hermétisme, peut-être?
PATRICIA: Les gens adorent. Donc, ton hérisson, il a double usage. Maintenant qu’il a chassé l’intrus, il roule dans tes pensées.
ÉLÉONORE: Il va les transpercer!
PATRICIA: Pourquoi pas. Il les transperce, et les pensées se vident.
ÉLÉONORE: Pas très joyeux comme sortie de crise.
PATRICIA: C’est vrai. Le hérisson transperce les pensées, qui laissent ainsi entrer plus de lumière. Voilà. L’illumination par hérisson.
ÉLÉONORE: Génial.
PATRICIA: Bleue.
ÉLÉONORE: Bleu? Quoi, bleu?
PATRICIA: La lumière, elle est bleue. C’est plus obscur qu’une lumière ordinaire.
ÉLÉONORE: Un œil! La lumière bleue dont la source est un œil. Mais, un œil de quoi?
PATRICIA: De rien. Un œil qui a sa propre vie d’œil.
ÉLÉONORE: En bois.
PATRICIA: Qui chante.
ÉLÉONORE: Je crois que ça y est, maintenant. C’est plus que bon. Merci merci merci. Merci de m’avoir aidé à faire ma littérature. La prochaine fois, c’est moi qui t’aiderai à faire ton ménage.
PATRICIA: Allez! Change-toi en vitesse, et allons danser!