L’homme est en prison, dans la section K. Une section où on n’enferme qu’un homme tous les cinquante ans.
Au début, on a hésité. L’homme a fait un séjour, assez long, dans un institut psychiatrique des plus modernes. Rien à voir avec les asiles d’antan.
Sauf que les médecins n’ont rien trouvé d’anormal. Pas de névrose, pas de trouble de personnalité, pas plus fou que moi, que vous.
Or, il y avait les crimes. Incompréhensibles.
Alors on l’a enchaîné et traîné jusque dans la section K. D’où personne, selon les archives de la prison qu’on a bien voulu mettre à notre disposition, n’est jamais sorti vivant. Et pourtant.
Pourtant, tous, selon les mêmes archives, y ont été enfermés sans avoir été condamnés. Étonnant, non?
Plus étonnant encore, quand j’ai ouvert les dossiers de chaque individu, je n’y ai retrouvé que leurs noms, prénoms. Rien sur la nature des crimes dont ils ont été accusés, ou simplement soupçonnés. Rien sur les liens de parenté, sur les lieux de naissance, sur la langue maternelle, sur la scolarité. Rien sur la couleur préférée. Incongru, pas vrai?
Mais plus invraisemblable encore, tous ceux qui sont passés par la section K depuis 1822 portent le même nom, le même prénom: Joe Bleau. J’ai vite compris, en consultant ethnographes, sociologues et magistrats, qu’il s’agissait d’un pseudonyme donné aux prisonniers dont on ignore l’identité réelle.
L’homme dans la section K, celui qui sort de l’institut psychiatrique, ne fait pas exception à la règle, il s’appelle Joe Bleau.
Les gardiens racontent (mais tout ce que peuvent raconter les gardiens dans leur profonde malveillance!) que Joe Bleau se déguisait, selon les jours, en tomate, en concombre, et qu’ainsi camouflé, il volait des poules dont il ne mangeait que la tête, qu’il croquait d’un coup sec. Joe Bleau possède une dentition hors de l’ordinaire.
Les policiers racontent (mais tout ce que peuvent raconter les policiers dans leur profonde malveillance!) que même si Joe Bleau ne se déplaçait qu’à bicyclette, il filait plus vite que les voitures les plus puissantes.
Dans les cercles intellectuels, à New York et à Paris, on a parlé de Joe Bleau. Pas longtemps, quelques secondes à peine. Mais ce fut suffisant pour déterminer que Joe Bleau, et tous ses prédécesseurs de la section K, dont pourtant on ne sait absolument rien, est un extraterrestre.
Un Lunien, a suggéré un auteur français membre d’un groupe conspirationniste texan dont le siège social est en Suisse. Selon sa théorie, qui amuse beaucoup ma maman, qui est généticienne, Neil Armstrong aurait laissé une microscopique partie de lui-même sur la lune, lors de son célèbre passage, ce qui aurait provoqué une réaction de clonage en chaîne, et il existerait aujourd’hui des millions de microscopiques Armstrong sur la lune et dans l’espace environnant. Il en tombe sur la Terre de temps en temps, et le contact de l’atmosphère les gonfle, leur donne l’apparence humaine.
Je n’ai pas pu rencontrer Joe Bleau, malgré mes supplications et protestations.
J’ai peut-être trop insisté sur la section K. Depuis quelques jours, je remarque deux types louches, aussi louches que les types vraiment louches dans les films américains, qui ne sont en général pas louches à moitié, qui m’épient, qui me suivent jusqu’à l’épicerie.
Si j’en venais à disparaître, je vous en prie, partagez ce texte. Partagez-le même dès maintenant. Par précaution.
J’écrirai tous les jours sur ce blogue. Tout silence de ma part doit être considéré comme suspect. Ne m’oubliez pas! Cherchez-moi! Je serai dans la section K, je le sens.