Un mensonge, une tromperie

1973

Pendant que Pink Floyd présente le côté sombre de la lune, Quentin, 15 ans, fume ses premières cigarettes, et Bastien, son papa, 47 ans, récupère d’une chirurgie. Il vient de se faire retirer une pierre aux reins.

BASTIEN: J’en ai parlé à ta mère, à ta grand-mère, à tes grands-pères, à tes oncles, tantes, grand-tantes, et grands-oncles, et nous sommes tous du même avis, nous ne voulons pas que tu fumes. À ton âge!

QUENTIN: Je ne fume pas. Qui t’as dit que je fumais?

2005

Pendant que Moby nous emmène à l’hôtel, Bastien, 79 ans, fume ses premières cigarettes, et Quentin, son fils, 47 ans, avale du coumadin pour éviter de nouveaux caillots dans ses jambes fatiguées.

QUENTIN: Papa, avec la pneumonie que tu as eu l’an dernier, et toutes ces absences, c’est vraiment pas recommandé que tu te mettes à fumer. Tu le sais bien, ton médecin te l’interdit formellement, ça pourrait t’être fatal. À ton âge!

BASTIEN: Je ne fume pas. C’est le directeur du foyer qui t’as dit ça? C’est un loup-garou, tu devrais savoir, les loups-garous mentent. Malicieusement.

1973

Pendant que son amoureuse va voir The Exorcist au cinéma, avec sa cousine, Quentin pédale trente-quatre kilomètres avec ses copains pour acheter des cigarettes. À cette distance, ils espèrent ne pas se retrouver nez à nez avec un parent ou un voisin. Quentin ignore deux choses: que son papa a une maîtresse, et qu’elle est buraliste à trente-quatre kilomètres de la maison, là où le risque de rencontrer un parent ou un voisin est faible.

BASTIEN: Quentin? Pour une surprise, c’en est toute une! Oh, je passais, comme on passe, tu sais, j’errais plutôt, et quand on erre il arrive qu’on se perde, et quand on se perd, on ne se retrouve qu’en demandant, je me suis arrêté pour ça, demander une faveur, toute petite faveur, les hommes en ont bien besoin quand ils errent, ils s’en remettent au prochain, à la prochaine, j’allais consulter le boulanger, mais je me suis ravisé, n’est-ce pas, attendons la prochaine, le prochain, et c’était ici, bien ici, et te voilà! Se remettre n’est pas mince affaire, et la déception, grande, fantastique, oui Quentin, déception si astronomiquement colossale de te prendre sur le fait, car c’en est un, cet achat de cigarettes, à des kilomètres des tiens, des miens, très très loin quoi! Me voici malgré moi face à une tromperie, face à un mensonge, le tien évidemment!

QUENTIN: As-tu bu papa? Parce que là, pardonne-moi, mais je ne te reconnais pas. Tu me parles comme à un étranger, enfin, comme si c’est moi qui t’avais surpris en flagrant délit! Qu’est-ce que c’est? Tu détournes les yeux, tu rougis? Oh je vois, tu me suivais, c’est cela? Tu m’as pris en filature et là, devant la preuve que tu recherchais, moi qui achète des cigarettes, tu voudrais me faire croire que tu es là par hasard, mais ça ne colle pas. Vois-tu, tu as oublié d’être toi, celui qui m’aurait sermonné directement, m’aurait imposé franchement un mois de travaux forcés, sans compter l’extraction de promesses et d’engagements ridicules. Et tout ce que je te dis là, à l’instant, jamais tu ne l’aurais toléré! Ne regarde pas cette pauvre femme, elle ne t’aidera pas! Moi, je pars avec mes cigarettes, je pars fumer avec mes amis!

2005

Pendant qu’un groupe de résidents du foyer va voir Kiss Kiss Bang Bang au cinéma, Bastien échappe à la surveillance des préposés et se retrouve au centre-ville, achète des cigarettes, s’assied sur un banc au milieu d’un parc, fume. Quentin marche avec son amant, dans ce même parc, là où jamais sa femme n’a mis les pieds.

QUENTIN: Papa? Que fais-tu là? Tu es à des kilomètres de ton foyer! Comment as-tu fait? Ne me regarde pas avec ces yeux, sois poli, ne dévisage pas mon… mon collègue, nous travaillons ensemble, nous discutions d’importants  détails concernant un projet astronomiquement colossal, tu ne peux t’imaginer, un projet philanthropique, oui c’est cela, nous ferons du bien à notre prochain, et à notre prochaine aussi, la prochaine fois peut-être, mais toi, papa, ici, me voici face à toi par hasard, en plein milieu d’un mensonge, d’une tromperie, la tienne, car comment as-tu trompé ceux qui devraient garder un oeil sur toi?

BASTIEN: C’est bien toi Quentin? Comme ma tête s’amuse! Parfois, je ne me souviens plus de toi, et au moment où je m’y attends le moins, tu apparais. C’est ça. Une apparition! D’où sors-tu? Tu es atterri devant moi avec ce monsieur qui te regarde avec de drôles d’ yeux. Tu es bien mon fils, oui? C’est ce que je croyais. Bien sûr tu es mon fils! Tu viens me visiter avec ta femme, je l’aime bien ta femme. Quel est son nom déjà? C’est étonnant, j’ai oublié. Tu rougis? C’est bien d’avoir une femme, il n’y a rien de mal à cela. Sauf que… Mais où est-elle passée? Qu’est-ce que cet homme fait ici? Tu le connais? As-tu vraiment une femme? Ouch! Je me suis brûlé les doigts avec cette cigarette! Et toi? Comme tu ne te ressembles pas! Habituellement, tu aimes tellement pinailler à propos de mes cigarettes, pas vrai? À moins que ce ne soit ce monsieur? Non? N’as-tu pas l’impression que vivre nous éloigne de nous-mêmes?

Traitement en cours…
Terminé ! Vous figurez dans la liste.

Laisser un commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s