À force de rabâcher ces alertes, Louise, tu nous ruineras. Toute la production de fromage sera détraquée, et nos vieux spectres carillonneront gaiement, comme autrefois. Y as-tu seulement pensé? Ta descendance! Qu’adviendra-t-il de ta descendance?
Car vous, cela peut vous sembler absurde, cette histoire, mais elle dure depuis des années. N’est-ce pas, Louise? Ne te braque pas, de dissimule pas ton petit air sardonique, celui que tu nous sers quand les étrangers disparaissent.
Louise, elle boit, elle caresse les cheveux du baron, elle roucoule, mais dès qu’on lui demande d’étriper le porc ou de cueillir la betterave, la voilà qui retraite. Oui. Elle nous revient avec ces foutues alertes, hurlements au clair de lune, appels aux sapeurs-pompiers, dénonciations à la police. Et chaque fois, la pesante bureaucratie villageoise investit la propriété, gèle tous nos mouvements, et nous voilà statufiés pendant deux semaines, trois semaines, un mois! La dernière fois, papa était statufié sur un pied. Imaginez la douleur dans la cheville. Vingt-sept jours sur un pied! Le pauvre homme. J’ai déjà été statufié à quatre pattes, quand je cherchais mes chaussures sous le lit. Oh, certes nous tentons d’éviter tout mouvement inconfortable, pas d’acrobatie, de jeu d’équilibre, que du pied à terre, solide. Mais comment savoir. Comment? Car Louise ne nous prévient jamais, avant de lancer ses alarmes.
Et elle, pendant ce temps-là, pendant que dure notre statufication, elle court chez le baron, et nos fromages moisissent. Cela, Louise, tu le sais, mais tu te vexes chaque fois que nous te le rappelons.