C’est le mouvement qui m’a réveillé. Je bougeais, je me déplaçais, j’avançais. Je me croyais encore dans mon lit, je me croyais encore endormi, rêvant, délirant. Oh! J’ai ouvert un œil. D’abord un seul, et je n’ai vu qu’une vague de petites fourrures mouvantes, une vague infinie. A bien fallu ouvrir le deuxième œil, a bien fallu étendre la main droite, étendre la main gauche.
Des rats.
J’étais couché sur une mer de rats courants, filant sur ce grand boulevard où il n’y avait plus un piéton, plus une voiture. Rien que ce flot ininterrompu de rats, et moi là-dessus, fuyant avec eux.
-Saperlipopette!
Un juron bien inutile. Les rats n’ont pas bronché, pas ralenti, pas relevé la tête. Ils ne l’ont pas relevée même quand j’ai tenté de me redresser, de les écarter.
Ils sont trop nombreux pour que je puisse poser le pied sur le pavé, pour que je me libère de ce mouvement halluciné. Alors je me laisse surfer sur ces fourrures marrons, noires, grises, oui grises, surtout grises ces fourrures infernales.
Quand nous avons quitté la ville, j’ai cru que ça y était, qu’ils se disperseraient dans la campagne, dans les champs de maïs. Sales bêtes! Vont-elles finir par s’essouffler? Voici la nuit qui descend, et mon convoi qui ne ralentit pas!
Après deux jours, j’ai compris que ça ne se terminerait pas bien. Pour moi, je veux dire. Peut-être pour les rats aussi. À quoi bon lutter? Je suis seul, seul humain, je veux dire. Depuis le début, je n’ai vu personne. Pourquoi? Pourquoi personne d’autre ne flotte sur cette marée?
En plus d’avancer vers je ne sais quoi, j’ai l’impression de m’élever. Comment est-ce possible? Des rats, ça ne vole pas! Pourtant, je le vois bien, même si je suis couché, je flotte à la hauteur des toits des maisons!
Les rats! Tous les rats du monde! Ils se serrent les uns contre les autres, les uns par-dessus les autres. C’est cela! Les uns par-dessus les autres! Horreur! Je suis ballotté sur des mètres et des mètres de rats! Je vois à l’horizon, à tous les horizons, et partout ce ne sont que des hordes de rats.
Je m’élève, je touche le ciel, je m’élève à une vitesse folle! J’ai peur, mais là, vraiment, je suis affolé!
Mal à respirer. Gelé. Mes tempes vont éclater.
Toujours plus de rats.
Ceux qui courent au sommet, sur le dos de tous les autres, ceux qui s’agitent à ma hauteur commencent à crever. Ils tombent et ceux d’en dessous les dévorent. Et je me sens défaillir.
Ça s’achève.
Ils me dévoreront.
Quand je sortirai de ce cumulus, je ne respirerai plus. Tant pis. Je n’ai jamais traversé un nuage. M’en remplir les poumons. Aspirer.