Nous avons placé un sac de toile au milieu de la place, avant le lever du jour. Nous avons laissé entendre, sur les réseaux sociaux, qu’il y avait une fortune dans ce sac. Nous n’en avons pas précisé la nature. Ce pourrait être de l’or, des billets de banque, ou tout autre objet, chose ou idée possédant une valeur. Là-dessus, nous avons été plus que vagues.
Dès leur réveil, les citadins se sont précipités. Antoine a saisi le sac, mais au moment où il allait l’ouvrir, Gaston, Rosaline, Hervey, Jack, Louise-Anne, Marcel, Sébastien, Jean-Sébastien et Mathilde se sont précipités sur lui, l’ont terrassé. S’en est suivi une mêlée, coups, cheveux tirés, cous tordus, membres fracturés. Jean-Sébastien est parvenu à s’enfuir avec le sac, mais contrairement à Antoine, il n’a pas pris le temps d’ouvrir le sac. Sage décision, qui lui a permis de conserver le sac en sa possession pour seize secondes. C’est déjà quatorze de plus qu’Antoine.
Parce que John et Liam ont surgi, l’un de la droite, l’autre de derrière, chacun avec un joli couteau, une dague pour Liam, un Ka-bar pour John, menaçants, insistants. John a piqué Jean-Sébastien au bras, Liam a touché la rate, John a attrapé le sac et a bondi loin de Liam, mais c’est à ce moment, le soleil clignait de l’œil au-dessus des immeubles à l’est de la place, que la foule s’est repliée vers lui.
Vite encerclé par des centaines de gueules avides, John s’est soudain senti démuni, malgré son Ka-bar. C’est alors qu’est parti le coup de feu, une balle directement dans l’œil gauche, et John a à peine eu le temps de jeter un coup d’œil à son agresseur. À peine, puisqu’il est tombé raide mort, le sac à la main.
Des dizaines de bras se sont précipités, les mains ont saisi le sac, l’ont déchiré, réduit en pièces, pendant que le tireur, désespéré de voir le butin pour lequel il avait si bien visé s’enfuir, a perdu toute retenue et s’est mis à tirer sur tous ceux qui se coltaillaient au-dessus du sac.
Ce fut un carnage, selon les mots du maire et de ma sœur.
Nous n’avons pas pu identifier le tireur, ce qui est dommage pour l’exactitude de la relation que nous faisons de ces événements. Toutefois, comme certains de nous l’avaient prévu, le véritable trésor que contenait le sac leur a échappé, à tous. Ce trésor était inscrit sur la toile, à l’intérieur du sac. C’était la combinaison du coffre-fort que nous avons installé, le matin même, dans le hall de la salle des fêtes. Nous avions déposé deux millions de dollars dans ce coffre, par principe. En réalité, nous savions que personne ne viendrait jamais le retirer. Maintenant que le sac est détruit, déchiré, que des lambeaux arrachés ont été brûlés, il est certain que ces deux millions pourront sagement retourner dans nos coffres.
Jusqu’à l’an prochain.