J’attendais cette conférence depuis des semaines. Première occasion d’exposer à la communauté scientifique cette découverte étonnante, l’identification de l’élément premier du désespoir positif. J’étais prêt, rasé, coiffé, parfaitement adapté à mon costume trois-pièces.
Selon l’ordre du jour, je serais le quatrième à prendre la parole. Cela me laisserait le temps d’étudier les réactions des personnes présentes. Important. Je saurai, ainsi, sur quels aspects insister pour captiver l’intérêt, sans compter que je pourrai identifier les journalistes scientifiques. Sont toujours utiles, ceux-là.
Passionnante, cette conférence. Toutefois. Toutefois, je dois limiter ma consommation de kombucha. Ce serait dramatique si, au milieu de mon exposé, j’avais envie de pipi.
Le troisième termine son truc. Je n’ai rien écouté. Trop nerveux. Ce sera mon tour. J’ai le trac, comme on dit, je l’ai toujours lorsque je monte sur scène. Mais ça ne dure pas. Sauf quand la salle est ouvertement hostile, ce qui ne semble pas le cas aujourd’hui. Depuis le début, ils applaudissent, posent des questions, prennent des notes. C’est excellent.
Voici que l’hôte de la conférence prononce mon nom. Attendre encore un peu avant de me lever. Bref rappel de mes travaux, de mon parcours scientifique. Ma foi, c’est plus élogieux que je ne l’avais prévu. Merci. Beaucoup d’intérêt dans les regards autour de moi. Vraiment? Oui, je crois. J’ai les mains moites, mais j’y arriverai. Une fois de plus. Voici. Enfin. Fin de l’éloge, mon nom, il me nomme. Se lever, marcher jusqu’à la scène.
J’ai toute la salle à traverser. Applaudissements. Pourquoi? Je n’ai pas encore atteint la scène, je suis encore dans l’ombre. Merci, il dit merci, mais qui dit merci merci? Il y a un homme, là, sur la scène. Qui remercie comme s’il était moi. Qui s’adresse aux conférenciers.
Je suis debout, on me demande, s’il vous plaît, oui, pouvez-vous regagner votre place, s’il vous plaît, merci. Je m’assois, confus. Là-haut, cet inconnu captive l’attention, expose avec brio cette découverte étonnante, l’identification de l’élément premier du désespoir positif. Mieux que je ne l’aurais fait. Mieux? Au moins aussi bien. Soyons honnêtes, un peu plus qu’aussi bien. Meilleur, oui. Il est moi, mais en mieux. Il joue mon rôe à la perfection, il se dépasse, il me dépasse. Aussi bien le laisser aller, ne pas usurper ce rôle que je jouerais tout de travers. D’ailleurs, on me chasserait.
J’irai le féliciter, après son exposé. Son brio. Je m’effacerai, et le féliciterai.