Je ne comprends plus rien aux humains. Et aux humaines. J’avais des amis, oh j’en avais des tas, dispersés dans toute la ville, répandus dans tout le pays. Dix amis avec qui je faisais de la bicyclette, dix autres avec qui je jouais au bowling, dix autres pour faire de l’équitation, et autant pour le poker, la natation, la méditation, la voile, le cinéma, la danse, le macramé, la politique, la contemplation du vaste océan, la réparation des vieux transistors, la dégustation des vins rares, la quantification des malheurs nationaux, la calibration des armes automatiques, la glorification des héros, l’observation des étoiles, l’énumération des amis avec qui il est possible de faire de la bicyclette, du bowling, de l’équitation, et le reste. Tous ces amis! Quand j’ai eu ma première promotion, ils m’ont félicité. À ma deuxième promotion, ils m’ont encore félicité. À ma troisième, certains se sont inquiétés, mais je les ai rassurés. J’étais toujours le même. Toujours moi. À ma quatrième, je ne suis pas parvenu à rassurer ceux qui s’étaient déjà inquiétés à ma troisième promotion. Amis! Amis! Amis! Les meilleurs sont restés. J’avais beau être le patron, maintenant, mais ils savaient, ils le répétaient, que j’étais toujours le même. Toujours moi. Quand j’ai eu à réduire les heures de travail, ils ont compris. Toujours moi. Même chose quand j’ai réduit les salaires. Rien contre eux, rien contre l’amitié. Non. Toujours moi. Ça s’est corsé, par contre, après la troisième vague de mises à pied. Toujours moi. L’ami, j’étais toujours l’ami. Mais ils perdaient cette vérité profonde de vue. Vraiment dommage. Qu’ils aient maintenant tous été mis à pied ne devrait rien changer à notre amitié. Toujours moi. Les humains sont ténébreux. Insaisissables. Alors que moi, je suis toujours moi. Même seul, même absolument seul, je suis toujours moi. Toujours moi.