Si nous étions dans un film américain, il y aurait une explication bien simple à tout ça, comme un gigantesque tremblement de terre, un orage avec décharges électriques sans précédent, une météorite. Mais puisque nous sommes dans une autre fiction, nous éviterons d’avancer des explications, des pronostiques, des conclusions.
Les faits me troublent, mais puisqu’ils surviennent, je me contenterai de les observer, humblement. Parce qu’autour de moi, je l’avoue, ça ne perturbe personne. Comme si tout était normal, comme s’il n’y avait pas un avant, et un après. Pour moi, tout a commencé par un billet de cinéma.
J’avais acheté, en ligne, un billet pour le dernier film de Denis Villeneuve. Deux jours d’avance. Le jour venu, je me rends au cinéma, je présente mon billet au guichet, et on me remet un bouquet de sept roses. Surpris et ravi, je remercie, et je demande dans quelle salle a lieu la présentation. À ce moment, une charmante infirmière se précipite sur moi, attrape une des roses, m’embrasse et s’envole sans un mot. Je veux l’appeler, mais aussitôt, un type en short de boxe saisit à son tour une rose, et disparaît comme il est apparu. Puis les choses se précipitent. On me dérobe les roses, une à une. Se succèdent un juge reconnaissable à sa toge, une journaliste avec son micro, un gardien de zoo avec un bébé chimpanzé sur l’épaule, une éducatrice de garderie avec deux poupons dans les bras, et finalement une policière avec sa matraque brandie, qui me prend ma dernière rose, me frappe dans le dos à coups de matraque, jusqu’à ce que je m’écroule. Elle me chuchote à l’oreille qu’elle attend que je la demande en mariage. Mais quand je me relève, je l’aperçois qui s’enfuit en gambadant et en me lançant des baisers du bout des doigts. Tant bien que mal, j’essaye de la rattraper, mais je glisse sur le plancher comme si les carreaux étaient de glace. Sans m’en rendre compte, j’ai abouti dans l’entrée d’un café, où celui que j’ai pris pour le serveur m’a coupé les cheveux, et cela, avec une telle rapidité que je n’ai pu réagir. Je parviens enfin à m’éloigner, et je réalise que je suis perdu. Je ne reconnais rien. Je suis debout sur le trottoir, le long d’une rue déserte. Moi qui vis à Montréal, je ne reconnais pas la rue, je n’avais jamais vu ce type d’habitation. J’étais à Oulan-Bator! Prenant mon courage à deux mains, j’ai refusé de perdre la tête. C’est alors qu’un passant m’a demandé, en mongol, si je vendais des brocolis. Comment ai-je compris le mongol? Je l’ignore. Certain de ne pas avoir de brocolis, j’ai répondu par la négative, mais à ce moment un géant brésilien m’a saisi par les épaules et m’a couché sur un chameau, qui a aussitôt détalé au galop. J’en suis là, et je sais que ça ne s’arrêtera pas. Et ce n’est pas un film.