Il est minuit vingt-deux, Manon-Anne ronfle, a beaucoup bu, je crois que je peux rentrer chez moi sans qu’on me remarque.
Rue déserte, toutes les lumières sont éteintes chez les Robideaux.
Mes chaussures à semelle molle, un chat incognito, irriguons ce poteau, prononcer des labiales.
À qui appartient donc cette ombre mouvante? Martin! Martin MacPhee!
– Non je ne crois pas que ce soit le moment, j’ai un mal de crâne odontoïde. À quoi ça ressemble? Tu ne le vois pas? Tu vois, on ne voit pas. C’est la nuit.
Martin MacPhee, métrosexuel. Chaussures de daim tachées de boue. A-t-il assassiné? Là-bas, dans la ville américaine où il est né, son père assassinait, ça faisait vivre la famille jusqu’au jour où ça s’est corsé. La famille a voyagé, Paris Texas, Paris France, Shawinigan. Le père a disparu, mort ou évaporé. Martin a refusé l’héritage, le mariage, le naufrage. Faut dire qu’à dix-sept ans, il a le temps de voir venir.
– J’ai le temps de voir venir. Je ne travaille pas, je ne dors pas, je ne lis pas.
– Tu erres toujours la nuit? Seul? Je croyais rentrer en douce, filer dans mon lit comme si j’y étais depuis le coucher du soleil.
– Rentrer en douce, dans cette rue? Tu rigoles! Ton manège avec cette Manon-Rosalie, tout le…
– Manon-Anne.
– Ce manège, que tu confirmes, avec Manon-Anne, toute la rue est au courant. Observe les fenêtres autour de nous. On n’y voit rien, mais moi je te le dis. Une paire d’yeux à chacune d’entre elles. Quand ce n’est pas deux. Toute la rue sait.
– Personne ne m’a jamais fait la moindre observation, ils ne m’ont.
– Sourires, poignées de main, viens prendre un coup. C’est notre rue.
Martin MacPhee, fils d’assassin, s’éloigne entre deux maisons, trottine dans l’ombre des bouleaux. Devant moi, ces yeux qui brillent. Un chat? Un raton laveur?
Toute la rue! Quand j’irai les voir pour les élections. Comment ne pas rougir.
J’ai toujours mes vêtements. Un moment j’ai cru.