Dans la salle d’audience du Tribunal de Dampaul-sur-Plavry règne une ambiance de terreur. Pendant quelques minutes, on n’entend que les gardes qui griffonnent des articles à paraître dans le prochain numéro de la Voix de Dampaul-sur-Plavry, et un rat qui grignote un bout de pain tombé sous un banc. Mais ça ne dure pas. Les juges entrent en scène, et tous doivent se lever, s’asseoir, se relever, se rasseoir, se relever, se rasseoir, comme cela se faisait dans l’église de Dampaul-sur-Plavry au siècle dernier.
JUGES: Vous êtes immoral!
JUGE EN CHEF: Vous êtes condamné à manger chacune des pages de votre livre, jusqu’au grand étouffement final!
HÈRE: C’est improbable! J’ai respecté toutes les règles du Grand guide des écrivatailleurs publié par les Éditions Sacrées de l’Acceptable! Tout lu jusqu’à l’encombrement total!
JUGES: Vous êtes immoral!
JUGE EN CHEF: C’était le guide de la semaine dernière, jeune insolent! Les Éditions Sacrées de l’Acceptable ont été liquidées! Autodafé de leurs livres! La morale évolue, jeune ignare! L’ancienne a été abattue, suspendue, confondue.
HÈRE: Il y a malentendu! Si j’avais su, cette nouvelle morale, je l’aurais lue, et puis sue, et puis eue! Accordez-moi votre clémence, et je ferai amende honorable! Ma pensée sera convenable, je vous le promets, je vous offrirai une œuvre admirable, irréprochable.
JUGES: Vous êtes immoral!
JUGE EN CHEF: Assez palabré! Votre œuvre a scellé votre sort! Gardes, emmenez cet animal, et conduisez-le sur l’échafaud des étouffements. Qu’il y mange ses horribles pages, honte de notre village!
Les gardes posent leurs stylos, s’emparent du condamné et disparaissent par une porte latérale qui donne directement sur un couloir labyrinthique qui se tortille et s’entortille jusque sous la grande place, où il débouche sur un escalier de pierre froide qui mène directement sur l’échafaud, devant lequel la foule attend depuis de longues heures.