Ils mentent même sur l’état de leur âme

Le vieux Paurial a passé une annonce, cherche modèle, photographies, jeans et sweatshirt, Laurent a répondu, mais Paurial n’avait pas de jeans pas de sweatshirt, il lui a plutôt plaqué un révolver sur la tempe, lui a ordonné de vider ses poches, Laurent lui a décoché une savate dans l’entrejambe, fracture testiculaire. Laurent a répondu à une annonce, on cherchait des modèles, c’est l’occasion de se faire connaître, mannequin, comédien, il est comédien, n’a joué qu’avec des troupes d’amateurs, rêve de la ville, de la vraie, peut-être du cinéma, on lui dit qu’il a le talent, et la tête de l’emploi. Sitôt entré, il a flairé l’arnaque, a hésité, on ne sait jamais, mais vraiment, ça ne payait pas de mine, un studio à l’allure d’entrepôt délabré loué à la dernière minute, et ce type, mèches grises sur un vieux front, l’oeil pervers. Quand il a sorti son arme, Laurent n’a pas hésité, il les connaît ces salauds, il l’a plié en deux, en trois, en quatre, le vieux s’est évanoui, l’arme a volé sur un tas de débris. Quand les flics se sont ramenés, il n’avait toujours pas repris conscience. Déposition, plainte, ils l’ont emmené, hôpital ou prison, ce n’est pas clair, Laurent est parti à pied, n’a pas voulu qu’on le raccompagne. Je voulais marcher un peu, m’arrêter au café, raconter cette histoire à Martine, mais comme j’atteignais le café, j’ai vu cette annonce dans la vitrine, Modèles recherchés, j’ai pris en note l’adresse, et pourquoi pas, j’ai décidé d’y aller. Il bifurque, change de direction, saute dans un bus, descend dans un quartier à la limite de la zone industrielle où s’élèvent de nombreux hangars, des entrepôts, où circulent pas mal de poids lourds. Il y a aussi, il le sait pour s’y être rendu deux mois auparavant pour une livraison de pizza, au moins un studio de télévision dans les environs. À l’adresse indiquée, un homme, la soixantaine, seul, ce qui l’inquiète, ce qui le décide à ne pas entrer, à se contenter d’expliquer le but de sa visite, sans laisser à l’autre le temps de parler, lui demandant de s’identifier, l’interrogeant sur sa profession, où sont publiées ses photos, réclamant des exemplaires des magazines, mais le sexagénaire tente de se défiler, Laurent lui tient tête jusqu’à ce que l’autre en bafouille. À bout d’arguments, le vieux claque la porte. Laurent contacte les services d’urgence, explique l’arnaque aux policiers, qui forcent la porte et ressortent avec un Paurial menotté, qui est emmené au poste où il est interviewé pendant une bonne heure, avant d’être libéré pour insuffisance de preuves, mais l’enquête se poursuit pendant qu’il, Paurial, rentre chez lui en vitesse, où il se laisse choir dans un fauteuil, sourire aux lèvres, quand soudain on frappe à la porte, il vient pour l’annonce, Modèles recherchés, Paurial balbutie deux ou trois mots, invite le jeune homme à faire comme chez lui, voici sa loge, le temps qu’on lui apporte un premier jeans, il se peut même qu’il appelle une assistante qui n’existe pas pour qu’elle apporte le jeans qui n’existe pas, ce qui semble rassurer Laurent, qui se laisse conduire dans une pièce un peu sombre, il ne comprend pas qu’il n’y ait rien, pas de miroir, pas de brosse, aucun produit de maquillage, c’est un débarras, la porte derrière lui s’est refermée, il fait volte-face, pousse le battant, le vieux Paurial tente d’empêcher sa fuite, brandit ce qui ressemble à une arme de poing mais qui n’est qu’un vulgaire jouet de plastique. Laurent le terrasse, le ligote et lui donne quelques bons coups dans les côtes et les testicules, le vieux se lamente, supplie, mais il est trop tard, Laurent appelle les flics, ils sont déjà là. Paurial est jeté dans une cellule, personne n’écoute ses plaintes, le lendemain matin, il est formellement accusé, il doit signer une promesse de comparaître, je n’ai rien fait, je n’ai rien fait, pourquoi s’en prendre à moi, si au moins, mieux vaut que je rentre, je n’ai plus vingt ans, par bonheur il n’y avait pas de voisins, pas de passants, on ne s’aventure pas dans ce quartier-là, voilà, où est ma clef, ah enfin chez moi, il faudrait quand même que je songe à décorer cet endroit, le rendre un peu plus chaleureux, faudrait que je me trouve une caméra, même une vieille, ça ferait plus sérieux, parce qu’un photographe sans caméra, qu’est-ce que c’est, on frappe, c’est inespéré, bonjour monsieur, jeune homme, bonjour, oui c’est bien ici, les jeans et sweatshirt, oui c’est pour un magazine, entrez donc, entrez, mais non je n’ai pas les magazines ici, je vous en ferai parvenir une copie, des magazines que vous retrouverez en kiosque, mon nom sous la photo, oui oui, mettez-vous à l’aise, le studio est plus loin, au fond à gauche, entrez ici, l’accessoiriste vous apportera le premier jeans, je crois que je joue bien, je l’ai convaincu, j’imagine que j’ai vraiment l’air d’un photographe, professionnel, maintenant le voilà pris, qu’est-ce que je fais, j’aurais dû prévoir qu’on répondrait à l’annonce, il s’appelle Laurent, son vrai nom, peut-être pas, tout est faux de nos jours, les jeunes, ils mentent par principe, ils mentent même sur l’état de leur âme.

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