Tout ça a commencé le 7 juillet. Je marchais sur la promenade le long du fleuve, seul, joyeux. Il y avait des couples, des personnes seules, des vieux, des familles, des échantillons d’à peu près tout. Soudain, je l’ai vue. Elle. Une femme fantastique. Incroyable. Bouleversante. Elle avait, comment dire, de ces cheveux, oh, de ces cheveux! Comment vous la décrire davantage? Les mots me manquent. Elle avait de ces oreilles, et un front, des joues, et de ces lèvres, des sourcils, elle avait aussi un cou, des épaules, oui des épaules, et des bras, deux, parallèles, et un torse, mais quel torse, et un bassin, des cuisses, parallèles aussi, tout comme les tibias. Et quoi d’autre? Ah oui, bien sûr, des pieds. Alors, vous voyez? Vous comprenez? Incapable de résister, de réfréner mon élan, je me suis approché d’elle lentement, sourire numéro deux accroché au visage, et au moment où j’allais lancer ma phrase d’amorce, elle a sauté par-dessus la balustrade et s’est jetée à l’eau! J’ai crié, d’autres passants ont crié, mais en bas, dans le fleuve, elle a agité un de ses deux bras, pour nous montrer que tout allait pour le mieux, et elle s’est mise à nager vers l’autre rive, doucement, avec une grâce et une assurance qui m’ont rassurées. J’ai donc poursuivi ma promenade, tout de même triste du dénouement. Je l’aurais bien suivie, mais je nage si mal, que j’aurais probablement coulé avant de pouvoir lui exposer les motifs de mon approche. Mourir d’amour, oui, mais pas sitôt. Le lendemain, à la même heure, je me promenais à nouveau. J’étais joyeux, je marchais la tête haute. Contre toute attente, elle, la femme aux cheveux, aux oreilles, au front, aux joues, aux lèvres, aux sourcils et le reste, était là, exactement au même endroit. Sourire numéro trois, celui des occasions qui méritent qu’on les souligne, comme la rencontre d’un ami au lendemain d’une victoire au cent mètres, je m’avance vers elle, d’un pas déterminé, comme si je la connaissais déjà. Notre presque rencontre de la veille m’en donnait, à tort probablement, le sentiment. Donc, me voilà qui arrive sur elle, mais au moment où je suis à deux mètres d’elle, hop, elle saute à nouveau par-dessus la balustrade, et dans la flotte! Eh bien! Je l’ai regardée crawler, stupéfait, peut-être encore plus que la veille. Comment expliquer ce comportement? Je ne le saurais. Le lendemain, nouvelle promenade, je la vois à nouveau, mais par prudence, je m’approche discrètement, de biais, essayant de ne pas attirer son attention. Comme elle regardait dans la direction opposée, je me suis dit que cette fois je pourrais l’atteindre avant qu’elle ne plonge. Eh bien non. Quand j’ai atteint un peu moins de deux mètres, elle s’éclipse une fois de plus, gracieux saut dans les eaux grises du fleuve. Ma foi, j’étais abasourdi. Comme cette femme fantastique, incroyable, bouleversante, plongeait systématiquement à mon approche, une sorte de lien s’était créé entre nous. Nous étions de plus en plus près, l’un de l’autre. Du moins, je le croyais. Que faire? J’ai réfléchi, et ai compris que la seule façon de m’approcher à moins de deux mètres d’elle pour plus d’une fraction de seconde, était de plonger moi aussi. Voulant éviter la noyade, qui rendrait le plongeon définitif et inutile, je me suis donc muni d’une bouée. Orange. Le quatrième jour donc, j’étais déterminé. J’ai saisi ma bouée, et dès que je l’ai vue, je me suis mis à courir vers la balustrade. Mon objectif était de parvenir à sauter en même temps qu’elle, afin de toucher l’eau dans un splash commun. Ce serait, rêvais-je, comme notre mariage. Donc me voilà qui court, et hop par-dessus la balustrade, et plouf dans l’eau. Froide. Et tout de suite, j’avale une bonne tasse, mais je me ressaisis, je remonte à la surface. J’ai perdu ma bouée. J’aurais dû l’attacher avec une corde. Mais surtout, à mon grand étonnement, ce jour-là, elle n’a pas sauté. Elle était là-haut, je l’ai bien vue, avec d’autres passants, qui me regardaient me débattre, horrifiés, appelant à l’aide, me criant de tenir bon. J’ai tenu plutôt mal. On m’a repêché peu de temps après, inanimé. Deux kayakistes. Manoeuvres de réanimation, j’ai crachoté l’eau grise, j’ai survécu. Puisque je vous raconte. Sauf que par précaution, on a tenu à m’emmener à l’hôpital. Lorsque ma survie a été assurée, le médecin des urgences a laissé sa place à un psy, qui a refusé de me donner mon congé, surtout après avoir entendu mon histoire. Il était persuadé que j’avais voulu m’enlever la vie! Quelle idée, alors que c’est une histoire d’amour, tout cela! Mon histoire d’amour! Ça fait quelques jours, ou peut-être quelques semaines, que je suis ici. Personne, m’a annoncé le psy, n’avait jamais vu une femme plonger dans la rivière. Les policiers ont enquêté. Comme je maintiens ma version des faits, on craint que je ne récidive, si on me libère. Alors j’ai décidé de partager mon histoire sur les réseaux sociaux, dans l’espoir que la femme avec les cheveux, le cou, les bras parallèles et les tibias parallèles, se manifeste, et vienne me libérer. J’en profite pour l’embrasser, tendrement, et lui dire qu’elle pourra emménager chez moi quand elle le voudra.
Le plongeon amoureux
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