Ce jour-là, l’épine d’une plante que je n’avais jamais vue dans la forêt m’est entrée dans le bras. Vive douleur, qui s’est vite dissipée. J’ai poursuivi ma promenade, j’avais oublié l’épine. Le lendemain, je suis revenu dans la forêt. Même si nous étions en juillet, il faisait un froid de canard. Ou plutôt, de macareux. Je gelais, surtout que j’étais légèrement vêtu. En plein été, on pense rarement à se munir d’un parka, de gants, de bottes et d’écharpes. Autour de moi, le bois des arbres gelés craquait, et des branches, paralysées dans leur croissance, cassaient et tombaient au sol. Moi-même, qui ne pouvait guère plus marcher, appréhendais le moment où mon corps commencerait par se briser, morceau par morceau. Ça n’a pas tardé. D’abord une jambe, puis un nez, jusqu’à ce qu’il ne reste à peu près rien. Ma tendre épouse, qui passait par là par hasard, elle qui jamais ne s’aventurait dans les bois, m’a aperçu tel que j’étais, diminué et stationnaire au bout d’une allée. Prévoyante, elle portait tout un attirail polaire, des pieds à la tête. Parmi les membres gelés qui gisaient autour de moi, elle a choisi deux oreilles, d’une jolie forme. Elle m’a annoncé qu’elle les emporterait, en souvenir de moi, et qu’elle les ferait peut-être empailler. J’étais fier, je savais qu’elle avait beaucoup d’affection pour moi. Avec ce qui me restait, une tête en équilibre sur un moignon de cou, je l’ai observée quitter le bois. Elle gambadait, visiblement joyeuse. Elle s’est arrêtée pour parler à un passant, un de nos voisins, qui tenait un chien en laisse. Les deux ont beaucoup rit, et lorsqu’ils se sont séparés, mon épouse a vu, avec étonnement, qu’elle tenait toujours les deux oreilles, qui avaient commencé à dégeler. Grimaçant, elle les a lancés dans les buissons, avant de secouer ses vêtements, et de se diriger vers le village. Entretemps, le cou m’était tombé, puis le visage, la boîte crânienne, et tout le tralala. Il ne m’est plus resté que la cervelle, et heureusement, à ce moment, l’été, qui s’était momentanément éclipsé, est revenu. Un renard, curieux et affamé, apercevant l’aubaine, n’a fait qu’une bouchée de cette cervelle. À peine s’il a mastiqué. Depuis, ne disposant plus du minimum, je me suis vu dans l’obligation de mettre un terme à la relation de cette journée excentrique.
Les oreilles gelées du promeneur solitaire
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