Pour un idéal 

Nous cheminions, le capitaine et moi, sur la route des Peupliers. Il était persuadé que par là, nous parviendrions à prendre l’ennemi par surprise et à libérer nos camarades prisonniers. Je connaissais cette route, j’étais du pays, je savais que nous courrions droit à notre perte parce qu’à moins de deux kilomètres la route s’enfonçait dans un genre de tranchée d’où il serait facile, et même inévitable, qu’on dresse une embuscade, simplement en positionnant quelques tireurs sur les talus de chaque côté. Ils pourraient nous canarder à loisir, un jeu d’enfants, c’en serait fait alors de ce qui restait de notre régiment, nous deux. Mais le capitaine croyait à sa cause, j’y avais cru aussi, du temps où c’était encore clair, mais depuis toutes ces pertes et notre disparition accélérée, j’en avais oublié des bouts, je ne savais plus trop, et si je ne le suivais ce n’est que par nostalgie pour notre enthousiasme d’antan, et par crainte de me rappeler un jour que ce pour quoi nous nous étions battus en valait la peine. Tout de même, j’ai mis en garde le capitaine, j’ai insisté, mais il n’a pas même pris la peine de se tourner vers moi, de signifier ne serait-ce que par un haussement de sourcils, un grognement ou une moue, qu’il m’avait entendu, qu’il avait perçu ma voix, un son humain provenant du reste de ses troupes, moi. Car il agissait ainsi depuis le début, depuis toujours, n’écoutant que ses supérieurs et à l’occasion, ses égaux, mais jamais ses inférieurs, ceux dont il avait le commandement et dont le rôle consistait à matérialiser chacun de ses plans et maintenant, chacune de ses lubies. J’avais cru, puisqu’il ne restait plus que nous deux, que les conventions s’effriteraient et que nous ne serions plus que deux hommes sur une route, en déroute. Illusion. La pièce n’était pas terminée, nous devions encore tenir notre rôle, quitte à y laisser notre peau. J’ai bien pensé tourner les talons, m’enfuir à travers champs et gagner, à la faveur de la nuit, un pays où je passerais incognito. Il aurait probablement tenté de me descendre, jugé condamné pour désertion, mais je pouvais, avec un minimum de ruse, déjouer son attention et disparaître comme au cinéma, m’évaporer au-dessus de la campagne froide. Sauf que je le suivais, muet maintenant, résigné, parce que je n’étais pas encore parvenu à me débarrasser d’un idéal dont j’avais pourtant oublié l’essentiel. Sans surprise, dès que nous nous sommes retrouvés entre les talus, ils ont tiré et il n’a fallu que cinq coups de feu pour nous étendre, inoffensifs et expirants, sur la route des Peupliers.

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