Ma voisine, qui adore lire des biographies de célébrités, m’a reproché de ne raconter que des histoires sombres, ou totalement débiles. Je lui ai dit, tu as raison, voisine, je ferai amende honorable, et je te raconterai une histoire absolument claire, et pas débile du tout.
Alors je lui ai raconté ma vie.
Je suis né dans une famille unie, j’ai grandi dans un quartier béni, j’ai étudié dans des écoles nanties, j’ai épousé une femme plus que jolie, j’ai accumulé une fortune qui m’a ravi, mais un mauvais sort m’a sali, on m’a tout saisi, ma femme est partie. J’ai refusé de sombrer dans la folie, j’ai décidé de refaire ma vie.
Révolution. J’ai trouvé du boulot, décidé de vivre en solo, de supporter mes maux, de viser haut. Comme je gagnais peu, je me suis logé au mieux. J’ai trouvé ici un appart convenable que j’avais les moyens de me payer. Partout ailleurs c’est trop cher, beaucoup trop cher.
Détermination. Je vivais en paix jusqu’à ce que la voisine du dessus emménage. Elle chante faux toute la soirée, à tue-tête, ce qui m’empêche de dormir. La nuit, parfois elle dort, parfois elle hurle. J’arrive au boulot fatigué, le patron ne cesse de me le reprocher, je sens que je serai licencié. Je persiste, je me remplis les oreilles de coton, de tout ce qui peut servir à m’isoler de la voisine. Mais c’est vraiment trop fort, les murs en tremblent, les rats s’enfuient.
Aujourd’hui, j’ai encore un peu d’énergie, je souris et je reste poli.
Après ce récit, je me suis incliné devant la voisine, l’ai enjointe de reconnaître que c’était là la plus belle des histoires, une de ces histoires qui finissent bien. J’ai insisté sur le sourire, sur la politesse. Elle m’a foutu deux claques, en criant qu’elle ne chantait pas faux, qu’elle ne hurlait pas la nuit.
Je lui ai répliqué bien sûr que si, bien sûr que si, et que dans ces conditions, je ne voyais pas d’autre alternative que me remettre à mes histoires sombres et débiles.