VALÉRIE: Les gens qui achètent des bicyclettes bleues ont un quotient intellectuel légèrement inférieur à la moyenne.
MATHIAS: Elle est bien bonne celle-là!
AGATHE: Mathias, je parie que tu as une bicyclette bleue!
MATHIAS: T’es drôle toi! Et toi, elle est de quelle couleur la tienne?
AGATHE: Elle est blanche, enfin, elle était blanche. Mais la tienne, si je me souviens, elle est bien bleue, non?
MATHIAS: Turquoise. Il y a une nuance.
AGATHE: Je veux bien, mais le soir, sous la lumière des lampadaires, elle a l’air bleue. C’est joli, une bicyclette bleue. J’aimerais en avoir une bleu ciel.
MATHIAS: Bleue, verte, rose, qu’importe! L’important, c’est que ça roule, que ça ne soit pas trop lourd et pas trop cher.
VALÉRIE: C’est pas une blague.
AGATHE: Quoi donc, Valérie?
MATHIAS: Les bicyclettes bleues?
VALÉRIE: Tout à fait. Une étude le prouve.
AGATHE: Une étude? Qui a bien pu faire une étude sur une question aussi stupide?
VALÉRIE: Je t’en prie.
MATHIAS: Ce n’est quand même pas toi!
VALÉRIE: C’est Marco.
AGATHE: Ton frère?
VALÉRIE: Je l’ai lue, et il a raison. C’est scientifique. Il fournit toutes les données sur lesquelles sa conclusion se fonde. Ce ne sont pas des mots en l’air. Lui-même était étonné, et n’y croyait pas trop au début. Mais les faits sont les faits, et un esprit rationnel ne change pas de route lorsqu’il les rencontre.
MATHIAS: Mais tout de même, ce n’est pas un peu… tiré par les cheveux?
VALÉRIE: Tu crois que Marco dit des conneries?
AGATHE: Calme-toi Valérie. Reconnais que c’est plutôt étonnant, non?
MATHIAS: Théoriquement, je ne peux rien y comprendre, puisque j’ai une bicyclette bleue. Bleue la nuit, mais bleue tout de même.
AGATHE: Mathias…
VALÉRIE: On a le quotient intellectuel qu’on a. Il n’y a pas de honte à ça.
MATHIAS: Elle en rajoute! Qu’est-ce que tu as fumé, Valérie?
VALÉRIE: Tu as déjà passé un test de quotient intellectuel? Non? Tu devrais essayer. Je suis certaine, absolument certaine que ton quotient sera inférieur à la moyenne.
MATHIAS: Dis donc tout de go que je suis un abruti!
VALÉRIE: C’est toi qui le dis.
AGATHE: Valérie!
VALÉRIE: En tout cas, moi ça m’aide à faire le ménage parmi mes amis. À voir ta réaction, je vois que Marco a vu juste. Tu es borné, pas nécessairement crétin, mais un peu bête. Adieu, je ne crois pas que nous puissions nous entendre, désormais.
MATHIAS: Elle est folle. Complètement barjo!
AGATHE: Je n’en crois pas mes oreilles.
VALÉRIE: Dégage. Tu me bloques le passage.
MATHIAS: Va te faire voir. Je ne bouge pas. Un borné, ça se borne au strict nécessaire.
VALÉRIE: Je ne te le dirai pas deux fois. Avec des types de ton espèce, Marco est clair, il ne faut pas palabrer jusqu’aux aurores. Il faut agir.
AGATHE: Tu as un révolver! Valérie! Ça dépasse les bornes!
MATHIAS: Elle n’est pas bornée, Valérie.
VALÉRIE: Agathe, tu me déçois. Pourtant, tu as une bicyclette blanche. Il y a des motifs décoratifs bleus, mais j’étais disposée à fermer les yeux là-dessus. L’étude ne mentionne pas les motifs décoratifs.
MATHIAS: Agathe! Non!
VALÉRIE: Tiens, pour toi aussi. Pauvres bourriques. Comment ai-je pu m’illusionner sur votre état pendant tant d’années! Vous, mes amis? Quelle chimère! Quelle incommensurable générosité de ma part! Adieu donc. La société y gagne en vous perdant.