J’avais besoin d’un éditeur. Un éditeur pour éditer mon livre dont pas un éditeur ne voulait.
Alors j’en ai kidnappé un. Cagoule noire, mini fourgonnette blanche, je l’ai séquestré dans notre maison de campagne. J’avais aménagé le poulailler pour le rendre un peu plus confortable, mais pas trop. Pas trop, parce que dans un kidnapping, il faut quand même persuader le kidnappé qu’on lui fera mal si nous n’obtenons pas satisfaction.
Mon kidnappé ne l’a pas trouvé drôle. Pas du tout. La crotte de poule sur la fine laine de son pantalon, les plumes prises dans son pull en cachemire, ça l’a mis hors de lui. Hors de l’éditeur.
Or, c’est d’un éditeur dont j’avais besoin. Pour lui faire réintégrer sa personne, son rôle, sa partition, je lui ai parlé des livres qu’il avait publiés, et je lui ai lu celui que j’avais écrit. Ça l’a calmé, tranquillisé au-delà de toute espérance. Trop. À la dix-neuvième page, il dormait. Il ronflait à la vingt-cinquième.
Un kidnappé qui dort trop, ça prend des forces et ça perd la peur des kidnappés. Alors je l’ai réveillé. Je lui ai résumé les trois cents dernières pages. Sauf que je ne décelais rien dans ses yeux. Je lui ai expliqué qu’il devait éditer ce livre. Il m’a présenté de nombreuses difficultés techniques, pour me distraire. Je n’ai rien écouté, et comme il parlait de plus en plus, beaucoup trop à vrai dire, j’ai appuyé le canon de mon revolver sur sa tempe.
Il s’est tu, et a fait une belle gueule de kidnappé. Il a promis, même si l’air passait mal, de me l’éditer, mon livre. Merci que je lui dis, et je l’ai laissé avec mon manuscrit.
Le lendemain, j’ai voulu savoir où ça en était. Oh, je sais que ça prend du temps, je ne m’attendais pas à ce que ça soit édité comme ça, du jour au lendemain. Mais tout de même, je m’attendais à un léger progrès.
Rien. Mes feuilles gisaient dans la crotte, il s’en était fait un lit pour protéger ses précieux habits.
Je me suis alors rappelé le coup de l’oreille, ou du doigt, ou des deux. Les kidnappeurs tranchent la chose, la postent, et ça accroît la pression. J’ai opté pour un doigt de pied. J’avais besoin de ses oreilles, pour qu’il m’entende, de ses mains pour qu’il édite. J’ai donc posté le doigt de pied à la maison d’édition de mon éditeur kidnappé.
Malheureusement, la maison d’édition était fermée depuis que l’éditeur était kidnappé. Comme je ne voulais pas le dé-kidnapper avant qu’il n’obtempère à mes exigences, j’ai tranché un deuxième doigt de pied, à tout hasard, le temps de trouver mieux.
Mon kidnappé s’est étiolé, sans toutefois progresser dans l’édition de mon livre. Mais je ne me suis pas découragé. Ce n’est pas parce que mon livre a été refusé par tous les éditeurs de l’hémisphère nord, et soixante-dix-huit pour cent de ceux de l’hémisphère sud, qu’il est nul.
Par transparence, j’ai expliqué tout ça à mon kidnappé, qui, je le jurerais, ne m’écoutait pas, et même, je dirais plus, qui n’était pas le moindrement intéressé par mon propos.
Comme tout bon kidnappeur, j’ai estimé que le temps d’un ultimatum était venu. Je lui ai dit: mon livre doit être édité d’ici jeudi, sinon. Sinon quoi? Je n’ai rien dit, parce que je n’avais encore aucune idée du contenu de ce sinon. Comme jeudi était le lendemain, je me suis dit que cette aventure, passionnante, prendrait bientôt fin.
Le jour de l’ultimatum donc, le lendemain, je suis monté au poulailler. Mon kidnappé dormait toujours. C’est ce que j’ai cru. Ses pieds avaient saigné, ce qui avait taché toute la paille. Le temps que je nettoie, que je monte de la belle paille propre, mon kidnappé ne bougeait toujours pas.
Le soir même, j’ai reçu un courriel d’une maison d’édition chartraine qui avait pignon sur rue à Perito Moreno en Patagonie. Ils acceptaient d’éditer mon livre. Hourra.
Donc. Je n’avais plus besoin de mon éditeur kidnappé. Bon joueur, je lui ai donc annoncé, le lendemain matin, qu’il pouvait rentrer chez lui, vu mes succès littéraires en Patagonie.
Têtu, il n’a pas remué le petit doigt. Ni aucun autre, qu’il avait entiers, pourtant. Un têtu, me suis-je dit. Comme j’avais beaucoup de pain sur la planche, avec l’édition patagonienne de mon œuvre, je lui ai dit de faire à sa tête, et je suis parti vivre à Perito Moreno.