Confession d’un récidiviste

Il y a cent cinquante-deux ans, le jardinier Bertrand a accédé à la présidence. Depuis, tous les présidents ont été jardiniers, ou amis des jardiniers, ou supporters des jardiniers. Évidemment, puisque Bertrand a changé les règles du jeu. Depuis un siècle et demi, nul ne peut prétendre à la présidence s’il n’a, de près ou de loin, des intérêts dans la tonte des graminées, la pollinisation croisée des taraxacums ou l’évaluation du potassium dans les différentes variétés de crotte.

Voilà pourquoi je croupis dans ce cachot. Il y a cent cinquante-trois ans, je serais un homme libre!

Mon crime est simple: quand ma tondeuse est tombée en panne, je ne l’ai pas fait réparer. Trop cher. J’ai préféré m’acheter une bicyclette. Alors.

Le parterre s’est peu à peu transformé en paradis de lupins, bordé d’une haute barrière de berce du Caucase. Très joli, mais évidemment, ça m’a valu des amendes, des mises en demeure, des dénonciations. Les forces de l’ordre m’avaient à l’œil.

Sauf que j’ai pris goût à la bicyclette, et perdu celui du jardinage. Les lupins ont fini par être absorbés par d’étonnantes verges d’or, armoises, tanaisies, jusqu’à ce qu’émergent des pousses de bouleau, d’épinette et de sapin. Après quelques années, on ne voyait plus la maison de la rue. Ça me plaisait, je me sentais tranquille. Je payais les amendes, c’était le prix à payer, pensai-je, pour vivre en paix. Eh bien, non.

Aux amendes ont succédé les accusations, les procès, jusqu’à ce que je sois ruiné. Et emprisonné.

J’en ai pris pour quinze ans.

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