Jouer à n’en plus finir

C’est une grande pièce. Trente-six mètres carrés. Je suis au milieu, encore au milieu. C’est toujours là que je retombe. J’ignore comment je me suis retrouvé ici, au début. La dernière chose dont je me souvienne, je buvais un verre dans un bar, il y avait pas mal de monde, on a dû me droguer, me kidnapper, me balancer au milieu de cette pièce. Je n’ai vu personne. Ils ont tout de même pris la peine de me laisser une note dans la poche, sur un sticky: “trois possibilités: la liberté, le recommencement, la fin.” Et c’est tout. La pièce est vide, peinte, murs et plafonds, d’un jaune doux, un jaune presque effacé. Rien au mur, aucun meuble, la nudité totale. À mon arrivée, quand je me suis réveillé, j’ai fait trois pas en avant. Une trappe s’est ouverte, et j’ai glissé dans une sorte de tube enduit de graisse, et je ne sais par quelle magie, par quelle force, j’ai été éjecté, violemment, ici même, au milieu de la pièce. J’ai sauté à gauche, une fois, deux fois, trois fois, quatre fois, et me voilà parti à toute vitesse dans un autre de ces boyaux graisseux. Encore une fois éjecté au milieu de la pièce. J’ai compris. C’est facile. On s’amuse, et je suis le jouet. J’imagine qu’on parie, est-ce qu’il survivra, est-ce qu’il crèvera, est-ce qu’il continuera éternellement à être éjecté, craché au milieu de la pièce? Parce que c’est ça. Il y a des trappes partout, impossible de les détecter, de les voir. L’une d’elles mène à la sortie, une autre à la mort, et toutes les autres à des boyaux qui me forcent à recommencer. Trois possibilités. Comment trouver la sortie? Ce sera un coup de chance. Je pourrais tout aussi bien ne pas en sortir vivant.

Il n’y a aucun moyen de calculer le temps. Pas de fenêtre, et évidemment, je n’ai ni montre, ni téléphone. On ne m’a laissé qu’un jeans et un t-shirt. Toutes mes poches vidées.

J’aurais dû compter mes éjections, je viens tout juste d’y penser. Trop tard. J’en suis rendu à combien? Au moins vingt, peut-être trente? Je sais qu’à un moment, je me suis endormi, et personne ne m’a réveillé. Si c’est un jeu, ceux qui le regardent sont patients. Est-ce qu’on me regarde?

J’ai faim, mais j’ai surtout soif. J’ai beau dormir, je sens que je m’amenuise.

C’est impossible? Qu’est-ce qu’elle signifiait, cette note? J’ai marché dans toutes les directions, j’ai sauté, j’ai zigzagué, et chaque fois, je me suis retrouvé dans un de ces boyaux!

Est-ce ainsi que je mourrai? À me faire avaler par des boyaux graisseux, et recracher toujours au même endroit? Mourir d’épuisement, mourir de ces coups lorsque j’atterris au centre de la pièce, corps de plus en plus mou, de plus en plus lourd. Difficultés à marcher, à me traîner.

Je mourrai, je le sens, je le sais. Je suis ici depuis si longtemps. Je suis maigre, épuisé, je peine à me déplacer. Impossible de me tenir debout, de marcher, encore moins de sauter. Quel espoir me reste-t-il de trouver la sortie? Existe-t-elle? Sans doute pas plus que la trappe qui mène à la fin. Si elle était à ma portée, cette trappe, je m’y trainerais.

Chaque fois que je me réveille, j’ai l’impression de me relever de la mort. Chaque fois que je m’endors, j’ai l’impression d’expirer.

Chaque fois que je m’endors.

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