La grande découverte du sens

JÉRÔME: À dix-sept ans, je me suis inscrit à l’Institut culinaire, j’en suis sorti à vingt-et-un ans avec mention honorifique, embauché le lendemain par le plus grand hôtel de la ville, où j’ai rencontré Marcia, que j’ai épousée quatre ans plus tard, la même année où nous avons acheté une maison, et deux mois plus tard, j’ai décidé de ne plus travailler, pour me concentrer sur l’observation des alligators, ce qui m’a bien entendu forcé à déménager dans le sud-est des États-Unis, où je suis devenu moine mécanicien, et depuis, je vends des voitures sur la Côte d’Azur avec Rodrigue, qui préfère qu’on l’appelle Joe, je n’ai jamais compris pourquoi, mais il est vrai que je n’ai jamais demandé, il lit des livres de Zola du matin au soir et toujours les mêmes, qu’est-ce que ça peut me faire, j’ai dix dollars, tu viens, on va boire un coup!

ADRIEN: Évidemment, dans ma situation, je ne suis pas en mesure de refuser un coup, pas que je n’aie pas les moyens de m’en payer un moi-même, c’est juste que ça me lasse de payer, je préfère laisser les autres le faire, payer les coups, payer mes fringues, payer mon logement, j’oublie ma fortune, intacte dans la Banque de Patagonie, bien à l’abri de mes doigts crochus, je n’ai jamais mis les pieds dans ce pays même si maman y a rencontré son amant, elle m’en avait rapporté un caillou, allez deviner pourquoi, peut-être souhaitait-elle que je me mette à collectionner les cailloux, cailloux internationaux, c’est sans doute un truc maternel, moi quand j’ai vu ça, je me suis tiré au Québec, j’ai pêché le maquereau et j’ai failli me noyer, l’eau est glaciale par là, ça m’a donné l’idée d’ouvrir un petit commerce, vente de limonades aux noms imprononçables, arbodurantraxicone, tropprikoniran, et plein d’autres, que j’inventais, ça n’a pas marché, les gens croyaient que je voulais les empoisonner, alors j’ai fait du stop pendant quelques jours, sans regarder les panneaux, et j’ai abouti sur la côte du Pacifique, où j’ai sauté dans le premier cargo, destination Afrique du Sud, mais je n’y suis pas resté longtemps grâce à l’amour d’une femme qui m’a payé un billet d’avion pour l’Italie, et de là, j’ai emprunté une bicyclette, et j’ai pédalé, oh que j’ai pédalé, et me voilà!

JÉRÔME: J’ai toujours voulu donner un sens à ma vie. Toi, je dois dire, tu m’y aides vraiment. Absolument.

ADRIEN: J’allais déclamer la même conclusion, avec emphase et reconnaissance.

JÉRÔME: Buvons.

ADRIEN: Buvons.

Laisser un commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s