Si je n’étais pas tombé dans l’évier, mon avenir aurait peut-être été plus clair, j’aurais peut-être enfin trouvé un sens à ma vie. Il fallait que ça m’arrive! Qui tombe dans un évier? Qui disparaît dans la canalisation?
Ils m’ont extirpé, in extremis, juste avant la jonction avec l’égout collecteur. Ceux qui m’ont sorti de là n’arrêtaient pas de demander “comment est-ce possible, comment est-ce possible”. Ils savaient bien que j’étais incapable de leur répondre. Moi aussi, je me la posais, cette question. Franchement.
Je puais. On m’a retiré mes vêtements, on m’a poussé sous une douche, on m’a enfermé dans une cellule. Une cellule! On enferme donc les gens qui tombent dans un évier?
J’ai protesté, réclamé, menacé. Personne n’écoutait, j’ai dû patienter deux ou trois jours. Mon cas n’était pas clair, m’a expliqué le geôlier. Je veux bien, mais quelle loi avais-je enfreinte? Ça, ils étaient bien embarrassés de le préciser.
Enfin, un fonctionnaire m’a reçu dans son bureau. Air sévère, costume bon marché, cheveux mal coiffés. Il n’a rien dit, absolument rien. M’a simplement tendu un os, que je n’ai pas eu le choix de prendre. On me le tend, je le prends. Que faire avec? J’étais libre.
Je me suis éloigné avec mon os, et j’ai erré. Où aller? Qui voir? Pas question de retourner à la maison, ma femme, me enfants, sont-ils dans le coup? Vaut mieux dormir dans le parc, réfléchir au clair de lune, soupeser mes options.
La prochaine fois, c’est ce que je dois craindre, je le comprends, on pourrait bien ne pas m’extirper à temps des canalisations. Quelle fin triste ça ferait.
Bonne nuit, donc. Les étoiles sont belles. Il y a en a une qui file. Oh non, c’est un satellite. Seulement un satellite.